Dans nos investigations sur la question du sujet, nous avons commencé par nous demander quel était donc ce sujet, tout d’abord individuel, qui en tant que sujet de l’énonciation, c’est-à-dire en tant que sujet qui énonce un énoncé, dit parfois “je”. Ce “je” ainsi énoncé a cette double particularité d’être tout à la fois sujet de l’énoncé et sujet de l’énonciation. Celui qui parle, parle de lui, de lui-même.
Cette première recherche nous a permis de commencer à cerner un sujet pris dans une dialectique de l’identité et de la différence, ou plus exactement de l’identité et de la différence à soi. Le sujet, ce sujet là, est, avons-nous dit, toujours le même et toujours un autre.
Il en va de même du corps, avons-nous fait remarquer au passage, notant aussi que la forme du corps, chez Aristote, c’était l’âme, mais que chez d’autres, il en allait du tracé de cette forme du corps comme image pour que le sujet gagne en consistance, ne s’étiole ni ne se perde dans un éparpillement corporel premier, c’est notamment ce qui a été développé par Jacques Lacan sous les aspects du stade du miroir.
Un sujet consistant, qui dure dans le temps, s’y inscrit, réceptacle et producteur de discours, consistant dans son impermanence même.
De ce sujet, dont l’impermanence et la qualité de réceptacle textuel mettent en doute, érodent, la nature individuelle, nous avons rejoint le concept d’un sujet divisé, traversé, hanté même, par le langage, plutôt qu’un sujet individuel indivis.
Mais alors, comme nous le faisions aussi remarquer, qu’en est-il des groupes sujets ? Puisqu’aussi bien, un groupe peut se constituter en sujet. Le simple énoncé du “nous” en porte le sens premier. Quel est le corps de ce groupe sujet ? Et qui parle ? Dans la perspective d’une analyse de la société divisée en classes, une classe ne se forme comme sujet qu’à partir du moment ou la classe en soi devient une classe pour soi. C’est que le hongrois Georg Lukacs appelait la conscience de classe. Quel est le corps du prolétariat ? Quel est le corps de la bourgeoisie ? Oui, certes, mais plus précisément, qu’est-ce que le prolétariat comme sujet ? Qu’est-ce que la bourgeoisie comme sujet ? Ou toute autre classe ou une caste, ou n’importe quel autre groupe, pour ce qui nous concerne.
Corps et sujet, on en conviendra, ce n’est pas la même chose, mais nous pouvons bien soupçonner qu’il ne peut y avoir de sujet sans corps, si ce n’est le sujet comme fantôme du langage, don’t j’avançais il y a quelques séances que Dieu pouvait être une figure.
Ne dit-on pas d’ailleurs d’un groupe qu’il “fait corps” ? Et c’est bien ce “faire corps” articulé à son ou ses “porte-parole(s)” dont nous disons qu’il est un groupe sujet, et dont nous nous demandons quel est son corps, quel est son sujet, quelle est son identité à soi dans le temps qui passe ?