Venez visiter notre boutique en ligne

(tarifs d'expédition réduits en application de la loi Darcos)
Sélectionner une page

Nous entendons souvent dire que nous serions dans une période de retrait, ou d’errance, de la spiritualité. Mais à voir le simple nombre de participants à cette première rencontre du Café Théo, et tout en prenant en compte le succès que rencontre déjà notre Café Philo, si l’on compare l’attrait des deux, on peut se demander si nous ne sommes pas aussi dans une période de crise de la rationalité. Et, peut-être qu’en réalité, à vouloir à tout prix opposer spiritualité et rationalité, avons-nous contribué à les affaiblir l’une comme l’autre. Peut-être aussi qu’elles ne sont pas réellement opposables.

Comme je l’ai déjà dit à certains d’entre vous, les approches de la philosophie et de la théologie sont très différentes, voire opposées. Dans le cadre de la philosophie, tout énoncé a des conséquences, et la démarche philosophique se charge de l’inspection, de l’interrogation, de ces conséquences, jusqu’à réviser l’énoncé initial. Dans le cadre de la théologie, et plus exactement de la mystique, puisqu’il sera surtout question ici de théologie mystique, nous procédons souvent à l’inverse : des principes indémontrables sont posés, et nous nous interrogeons sur ce qui peut être bâti à partir de ces principes indémontrables. 

La difficulté de l’exercice, surtout pour les rationalistes, est d’accepter que les principes ne puissent être discutés. S’il y a un doute, on procédera plutôt à l’énoncé d’autres principes, à leur comparaison, et surtout à la comparaison des chemins qu’ils nous proposent d’emprunter.

Essayons-nous, aujourd’hui, pour cette première séance, à cet exercice, avec cette question, donc : Dieu est-il une personne ? On aurait à la rigueur pu dire “le divin”, ou “les dieux”. Ça peut faire partie de la discussion, en faisant attention à ne pas tomber dans des considérations purement culturelles ou historiques.

Lors d’une séance du café philo, nous avons proposé de définir l’amour comme issu de la rencontre d’une présence. Mais une présence est-elle nécessairement la présence d’une personne ? Ce qui revient aussi à se demander si une présence a besoin d’un corps, j’entends par là, bien sûr, un corps de matière, un corps charnel, ou encore si une présence perdure même quand le corps de la personne a disparu, quand la personne n’est plus là. Ou alors, faudrait-il plus radicalement se demander s’il faut qu’il y ait un corps pour qu’il y ait une personne. 

Corps. Personne. Présence.

Et s’il n’y a pas de corps charnel, donc sans qu’il y ait d’incarnation, je pense, là, par exemple, au Dieu d’Israël avant son fils, avant Jésus, comment se manifeste sa présence ? Vous le savez déjà, et je vais y revenir dans un instant, elle se manifeste par sa voix. 

S’il n’y a ni corps, ni présence, ni personne, il serait alors question d’un Dieu qui se serait retiré du monde, qui se serait retiré de sa création. Ou alors ce Dieu sans corps nous amène à nous demander si, tout au contraire d’un retrait ou d’une distance, la présence de Dieu n’est pas marquée du fait que la création de Dieu serait elle-même le corps de Dieu. L’incarnation se limite-t-elle au Christ, ou est-ce à travers toute la création que Dieu se donne un corps ?

Nous avons en français cette merveilleuse polysémie qui pourrait presque nous faire dire : quand il y a une personne c’est qu’il n’y a pas personne. Il y a donc quelqu’un quand il y a une personne. Quelque Un. Mais Dieu est-il Un ? Assez clairement dans la Bible catholique, oui, Dieu est Un. Dans la Bible hébraïque c’est un peu plus compliqué, puisque si l’on prend une traduction tout à fait respectable de cette Bible hébraïque, soit celle de Chouraqui, la Bible hébraïque conserve le pluriel pour le nom de Dieu : Elohims, et Elohims dans sa version, si j’ose dire, francisée, avec le s du pluriel. Là, les interprétations sont multiples, que ce pluriel soit une marque de majesté, de puissance, ou là pour souligner la dimension quasi conceptuelle de l’idée de Dieu. Ce n’est pas sans rappeler la prudence de Plotin quand il parle de la matière au pluriel.

Une autre manière de s’interroger sur la personne de Dieu est de se demander si Dieu est une entité ou, même, et à vrai dire je crois que c’est là que réside le fond de notre interrogation : Dieu est-il ? Dieu est-il un être ? Dieu est-il l’être ? Dieu, en tant qu’il est, peut-il se distinguer de sa création.

Nous savons que cette question est absolument fondamentale pour la foi et pour la mystique et qu’elle traverse toute la philosophie chrétienne de l’Antiquité et du Moyen Âge, et en particulier la théologie catholique. 

Je me permets de vous rappeler ce passage crucial de l’Ancien Testament, Exode 3,14 : 

“Dieu dit à Moïse : Je suis celui qui suis. Et il ajouta : C’est ainsi que tu répondras aux enfants d’Israël : Celui qui s’appelle “Je suis” m’a envoyé vers vous.” (Louis Segond)

“Je suis celui qui suis.” / “Celui qui s’appelle “Je suis””

Là, s’il semble bien être question de l’être, il est question de l’être en tant que sujet, “Je”, c’est-à-dire en tant que personne. or c’est bien en tant que sujet doté du langage, sous la forme de la parole, que Dieu crée. 

Dieu se regardant lui-même, dans son image comme dans un miroir. De la parole (de Dieu), de sa voix, est créée la création. De sa voix ou de sa lumière. Parce qu’avant la création, Dieu est infini et illimité. La kabbale, en particulier la kabbale dite lourianique, nous dit que pour que la création ait lieu, Dieu s’est retiré de lui-même, en lui-même, c’est ce que la mystique juive appelle le tsimtsoum. Nous avons l’infini illimité, Dieu, le Ain Soph de la mystique juive, et cet infini illimité se retire en lui-même pour laisser place à un vide dans lequel la création va trouver sa place, le tsimtsoum.

Je vous dis ça, parce que là, il me semble, le Dieu d’Israël, est tout sauf une personne. Et pourtant, dans l’Ancien Testament, ça cause, Dieu parle. 

Je vous propose donc de réfléchir sur quatre termes et non pas trois : 

Corps. Personne. Parole/Voix. Présence.

Tout au long de cette première séance plusieurs voix semblent s’accorder sur la présence, non pas nécessairement de Dieu mais plutôt disons du divin. Très rapidement plusieurs d’entre nous sont alors dans le partage d’expérience ou plus exactement dans le partage d’une certaine expérience de la foi.

Les déclinaisons sont cependant diverses et l’interrogation porte en particulier sur l’articulation entre l’être et la présence. Pour certains, la présence se manifeste à l’être, Dieu étant en quelque sorte extérieur à l’être, pour d’autres la présence est présente dans l’être, le divin habitant alors l’être dans toutes ses manifestations. L’articulation classique entre monothéisme et animisme est donc là parmi nous dès cette première séance.

Monothéisme, animisme, agnosticisme, athéisme sont les quatre grandes pensées qui, dès cette première séance, semblent garantir l’œucuménisme de nos discussions.

Enfin, un point est en particulier souligné avec une certaine insistance par l’un des participants, qui porte sur l’ouverture, le prologue, de l’Évangile selon Saint-Jean, dont vous trouverez ci-dessous une photographie de la plus ancienne reproduction, le papyrus P75, pour plus amples discussions.

Notre prochaine rencontre aura lieu le mercredi 17 avril à 14h, et devrait porter sur : La foi est-elle une cure ? ou : La foi guérit-elle ?