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Nous nous sommes quittés la dernière fois en nous demandant si une vie sans vérités était vraiment une vie.

Il semble peut-être un peu trop évident qu’en amoureux de la vérité, c’est à dire en amoureux de tout ce qui sous le signe de l’évidence peut faire entrer en résonance notre subjectivité avec la dimension de l’universel, la vérité se pose comme sous le signe de la nécessité, pour ce que nous serions tentés d’appeler une vie. Sous-entendu : une vraie vie, une vie bonne, les autres vies ? bof…

Mais n’y a-t-il de vraie vie que bonne ? Pourquoi pas ? Il nous faudrait alors définir ce qu’est une vie qui n’est pas bonne, sous-entendu : une vie sans vérités, vérités, toujours, au sens premier que nous avons défini il y a un mois et autour duquel nous ne cessons de tourner : une vérité est un énoncé qui, se manifestant à nous sous le mode de l’évidence, est disponible à tous quand à sa réception, sans conditions d’appartenance sociale, culturelle ou corporelle.

Mais la réception, ouverte, de pareils énoncés, implique une immense responsabilité de la part de chacun, car des énoncés de vérités sont très généralement en rupture avec l’état des choses tel qu’il est :

  • la rencontre amoureuse est une rupture dans la vie de l’individu jusque là isolé, alors confronté à la rencontre de l’autre dans l’entièreté de sa différence,
  • la découverte scientifique vient bouleverser les axes paradigmatiques sur lesquels la science reposait jusqu’à ce que la découverte ait eu lieu,
  • la création d’une œuvre d’art intervient souvent violemment en imposant au vieil ordre esthétique l’irruption d’une forme nouvelle, ou d’un agencement radicalement nouveau de formes existantes,
  • quant aux révolutions politiques, chacun sait que leur expérience n’est pas celle d’un long fleuve tranquille.

Nous retrouvons la distinction que Badiou, encore lui, établit entre bonheur et satisfaction :

  • « Le bonheur, c’est lorsque l’on découvre que l’on est capable de quelque chose dont on ne se savait pas capable. »
  • « La satisfaction survient quand on a trouvé dans le monde une bonne place, un bon travail, une jolie voiture et de belles vacances. La satisfaction, c’est la consommation de choses pour l’obtention desquelles on a lutté. Après tout, c’est pour jouir de ses bienfaits que nous avons cherché à obtenir une place convenable dans le monde tel qu’il est. La satisfaction, c’est la réussite selon les normes du monde. »

Au fond de tout ça, il y a, je crois, une autre très grande thématique existentielle : la thématique de la peur. Il faut savoir surmonter ses peurs quand on s’engage dans le chemin d’une vérité. Et de la même manière, aller vers le bonheur, ou en tout cas vers une des formes possibles du bonheur, c’est oser, c’est accepter, de prendre des risques, et laisser sa part au hasard.

Sinon, très bien, pas de vérités, pas de rencontres, d’inventions, d’engagement, de création, mais potentiellement une vie satisfaite, ou pas.

Alors attention, quand même, sur la recherche de la satisfaction, parce qu’on flirte là avec l’articulation, pas toujours heureuse justement, entre le désir et les promesses de la marchandise. Nous savons, au moins depuis Marx, et de manière à peu près certaine depuis Guy Debord, que ces objets que l’on appelle des marchandises, ces objets que nous avons produits et qui nous échappent à peine produits, circulent sous nos yeux en se présentant comme absolument singuliers, désirables, promesses édéniques d’une réalisation séculaire du paradis sur terre, pour redevenir complètements quelconques, d’une affligeante banalité une fois acquis, histoire que soit maintenu le désir d’en acquérir d’autres, toujours d’autres et toujours plus.

Y aurait-il deux vies ?

  • une vie que l’on pourrait presque dire animale, mais qui en réalité ne l’est pas tout à fait, voire pas du tout, puisque chez l’homme, comme vous le savez, les instincts ont été remplacé par les formes sociales et culturelles d’organisation du lien et, en particulier, visant à la reproduction de l’espèce, c’est la vie de la satisfaction, ou à tout le moins de sa recherche ;
  • et une vie que l’on pourrait dire à proprement parler humaine, celle au cours de laquelle chacun a la possibilité d’être traversé par des vérités, de les éprouver et de faire le choix d’y être fidèle, c’est la vie de l’accomplissement, terme qu’en dernier ressort je préférerai peut-être à celui de bonheur ou de vie bonne.

Nos discussions ce jour.

Nous abordons la question des sites de rencontre et de l’amour : le jugement de nombreux intellectuels, et pas seulement des philosophes mais aussi des militants, qu’ils soient anti-capitalistes à gauche ou anti-modernes à droite, pour le dire d’une manière probablement trop courte, le jugement, donc, qui est porté sur les sites de rencontre, les désigne comme outils instrumentant lesdites rencontres, rencontres alors tant et tant cadrées et paramétrées qu’elles iraient à l’encontre de la rencontre nécessaire d’une présence autre, de la rencontre de l’autre que soi dans son altérité tout entière, altérité radicale, pour que surgisse l’expérience amoureuse.

Ce jugement, au regard de la discussion qui s’en est suivie, s’avère être un faux jugement, de ce qui ressort des quelques témoignages d’une grande sincérité des participants qui se sont ainsi exposés à nous avec une grande liberté. Un faux jugement, car les paramètres des sites de rencontres, pour falsifiants qu’ils soient quant au hasard de la rencontre et à la dimension d’altérité qu’implique le processus de la vérité amoureuse, ne sembleraient finalement pas falsifier grand chose, puisque le hasard et l’altérité y sont maintenus. D’autres témoignages seraient par ailleurs intéressants à recueillir sur le sujet.

Ce qu’il y a de tout à fait important dans les discussions qui ont eu lieu lors de cette séance, en particulier autour de la rencontre amoureuse dont le possible est maintenu y compris à travers les modernes sites de rencontre, aura été de ne pas ériger la philosophie, ou le philosophe, en juge moral. Cela pourrait sembler “contre intuitif”, pour reprendre une expression tout à fait à la mode, et pourtant : la question de la morale, si elle s’arc-boute sur la construction d’une échelle de valeurs dans laquelle l’œuvre d’art serait supérieure à l’objet esthétique, dans laquelle la jouissance (orgasmique ou extatique) serait supérieure à la satisfaction, dans laquelle l’amour serait réfractaire à la recherche de son advenue, alors nous perdons une grande partie de ce qui fait notre simple et modeste quotidien, mais notre quotidien tout de même, c’est-à-dire notre vie dans sa plus admirable banalité.

L’autre point tout à fait important qui a été abordé concerne la nature des vérités dans leur capacité à faire trou dans l’ordre des savoirs établis, ou plus largement des discours existants. Ce point a été abordé par le biais de la connaissance scientifique. Cette connaissance, dans un premier temps proposée comme abord possible de la vérité, a été contestée comme tout au contraire nous en occultant l’accès. Nous nous sommes interrogés sur les processus par lesquels la vérité relèverait plutôt de sa vertu à faire trou dans un ensemble constitué de savoirs existants.

Il a alors été suggéré une généralisation de ce “faire trou” des processus de vérité, amoureux, scientifiques et artistiques.

Il a aussi été suggéré que cette trouée de l’existence dont ferait œuvre toute vérité confronterait le sujet à l’angoisse du vide, ce vide étant la manifestation, insistante, de la matière dont nos corps sont faits et en laquelle ils sont immergés.

Alors, les vérités : élévations vers les idées suprasensibles ? trouées dans l’ordre symbolique nous ramenant à la matière dont toute chose serait constituée ?

Le fil de nos discussions partait d’une première proposition quant aux vérités :

“Une vérité est un énoncé qui, quant à sa valeur, n’entretient aucun rapport avec le statut social (esclave ou propriétaire, prolétaire ou bourgeois), les identités nationales (pays ou langues), ou encore les déterminations corporelles (couleur ou sexe).”

Il semblerait pourtant que nous commencions à distinguer différentes formes de vérités, dont toutes n’auraient pas nécessairement la même essence.

Aux vérités universelles dont nous sommes partis, pourraient s’adjoindre d’autres vérités, celles qui font trou dans le discours dominant d’une époque.

Ces vérités qui font trou, sont-elles les mêmes que les vérités universelles, sont-elles des vérités universelles ? En effet, ces vérités qui font trou sont, au moins au moment de leur première manifestation, situées, dans le temps et dans l’espace, elles ont un contexte. Qu’en est-il, alors, de leur universalité, quant à leur valeur et quant à leur réception ?

De là le sujet de notre prochaine rencontre : les vérités sont-elles des trous ?