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La douleur. Mais comment en sommes-nous arrivés là ?

Nous nous demandons depuis un peu plus de deux mois, déjà, par quels chemins accéder à l’être en tant qu’être, c’est-à-dire aux choses qui sont en tant qu’elles sont, et non pas nécessairement telles qu’elles sont.

Il y a là un principe indémontrable : les choses ne seraient pas telles qu’elles sont, c’est-à-dire, telles qu’elles nous semblent être, telles qu’elles nous apparaissent. Disons d’emblée qu’on pourrait argumenter tout le contraire, ce qu’ont commencé à faire quelques phénoménologues, peut-être, ce qu’a fait François Wahl, indiscutablement, dans Le discours du tableau puis dans Le perçu, comme critique d’ailleurs de la phénoménologie.

La grande différence entre ce que je vous propose et ceux qui pensent que l’être serait à dévoiler, c’est que je ne vous dis pas, au fond, qu’il y aurait un voile à déchirer. Je vous dis, j’essaie de vous faire sentir, une universalité du sensible avant le sens, avant la signification, universalité du sensible qui a pour cause notre être charnel en tant que nous sommes immergés dans cette matière dont notre corps est constitué, parce que tout simplement il est.

Après ça, que notre pensée ce soit la matière se regardant elle-même, la nature se regardant elle-même, ou Dieu contemplant sa création à travers notre regard, je propose de laisser cette question à nos discussions théologiques. Onto-théologiques. Mystiques…

Alors, les accès possibles à l’être, aux choses qui sont en tant qu’elles sont. En matière d’universalité, nous avions commencé par évoquer différents processus de vérité, vérités subjectives, non pas dans leur relativité, je me suis opposé à tout perspectivisme nietzschéen, pour ceux qui connaissent, ou à tout scepticisme radical, arguant notamment du fait que cela couperait court à toute possibilité de discussion, et confinerait chacun à ses indiscutables goûts et ses non moins indiscutables opinions. Mais nous ne sommes pas ici pour échanger des goûts et des opinions, à tout le moins pendant la très courte heure que durent nos échanges hebdomadaires. Ces vérités subjectives le sont en tant qu’elles impliquent un sujet, des sujets, du sujet : science, art, politique, amour. Découverte scientifique, création artistique, politique révolutionnaire, rencontre amoureuse. Tout ce qui implique une sorte de rupture dans notre tranquille quotidien. Tout ce qui fait trou, avons nous dit.

Partant de la vérité en art, c’est-à-dire la création de formes nouvelles dans un univers de formes existant, nous nous sommes dirigés vers ce qui, notamment dans le trait, précède toute signification : des formes qui n’ont pas encore de sens, le tracé de ces formes, le trait en tant que trait. Cette première approche de l’insensé, de l’indicible, innommé innommable, nous a brièvement ouvert à l’extase mystique, à l’orgasme, aux intoxications, et à la douleur. Mais à un type de douleur particulier : la douleur dont l’intensité fait qu’elle ne peut être dite, la douleur qui résiste aux mots. J’avais aussi évoqué l’angoisse. Nous y reviendrons. Une douleur insensée. Une douleur dont il nous semble qu’elle ne peut être partagée. C’est aussi une douleur dont l’absurdité, une douleur qui ne peut être entendue, ne nous conduit nulle part, n’a pas de direction. 

Ce qui nous intéresse aujourd’hui dans le sens de la douleur, c’est justement cette absence de sens, de signification et de direction. Parce que par cette absence de sens et cette incommunicabilité, la douleur nous met en contact direct avec la sensation de la matière et, donc, de ce qui est en tant que cela est. Cette douleur, donc, au plus intime de l’intime, est ce qui nous met aux prises avec la plus grande universalité. Elle est, au plus profond de l’être de chacun d’entre nous, ce qui nous est le plus commun, comme une des voies d’accès possible à l’être, à notre corps qui est en tant qu’il est.

Discussions.

Quels que soient les partis pris des uns et des autres, la tendance générale des discussions penche vers la signification de la douleur, promue comme information pour le corps (pour l’individu ?), information qui serait là pour le prévenir en quelque sorte d’un danger. L’angoisse est alors présentée comme souvenir d’une douleur passée.

Cette lecture de la douleur, médicale et psychosomatique, passe pourtant à côté de ce que nous élaborons ensemble, puisqu’elle réinjecte du sens, une fois de plus, dans ce qui n’en a pas, à savoir que ce qui nous intéresse ici ce sont les douleurs innommables, indescriptibles, indicibles, dont la raison, justement, la rationalité nous échappe.

Apparaît alors dans le discours de certains la question de la responsabilité de l’accidentel, qui relèverait d’un choix. Nous sommes plusieurs à contester cette possible responsabilité, à tout le moins dans des cas tels que l’existence du corps, qui n’est certes pas un choix, ou même celle de la naissance qui, si elle relève éventuellement du choix des géniteurs, ne semble pas relever de celui du nourrisson, dont le choix est absent, corps jeté là dans le monde. 

Nous nous refusons à cette occasion de dériver vers des questions métaphysico-religieuses comme la métempsycose.

Une voix dissidente cependant s’élève, fustigeant le possible dolorisme de notre approche, étendu dans son propos à l’ensemble du christianisme, prenant pour exemple la souffrance du Christ et ses représentations.

Nous y reviendrons probablement lors du café théo, qui est peut-être plus le lieu pour ce type de questionnement. Il n’en reste pas moins qu’on ne saurait premièrement étendre le dolorisme à l’ensemble du christianisme, deuxièmement que le dolorisme bien compris n’est pas l’apologie de la douleur mais plutôt la reconnaissance de sa valeur morale – de multiples rituels initiatiques dans une foule de cultures à travers l’histoire semblant très vraisemblablement partager cette position, troisièmement les représentations de la souffrance n’en formulent pas nécessairement l’apologie. Tout au contraire, la souffrance du Christ, et surtout ses représentations, peuvent aussi nous ouvrir une voie d’accès symbolique insoupçonnée à la réalité du corps qui est en tant qu’il est. 

Remarque : on peut aussi penser à certains gisants, en particulier cette forme particulière du gisant que sont les transis, dont les sculpteurs ont poussé l’attention dans le détail jusqu’à représenter les vers se nourrissant du cadavre. Si ce n’est que là, certes, ils ne souffrent plus…

Un autre participant évoque alors la différence entre douleur et souffrance. En y adjoignant l’angoisse, nous avons là le triptyque tant redouté des néo-épicuriens, et qui sera donc le sujet de notre prochaine séance : Douleur – Souffrance – Angoisse. Un programme tout à fait réjouissant pour ce début de printemps.