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Qu’avons-nous vu au cours de ces premières séances ? Il me semble que ce que nous voyons c’est, certes, la pensée de Hegel en train de se former, mais c’est aussi un réel effort de pensée des monothéismes. Ce qu’il peut dire sur l’un comme sur l’autre vient toujours en comparaison avec ce que lui-même pense de la Grèce antique. C’est donc à cette triangulation dans les conceptions du divin que nous devons nous attacher.

Ce que Hegel élabore Comme conception du judaïsme nous dévoile une certaine figure de Dieu tout comme ce qu’il élaborera plus tard comme conception du christianisme nous en dévoilera une autre. Mais au fond la véritable confrontation n’est pas tant entre judaïsme et christianisme, qu’entre la portée de l’idée de Dieu et la raison.

Revenons à ce qu’il élabore comme pensée à propos du judaïsme. Quelle réalité se cache derrière les mots qui nous paraissent aujourd’hui si durs, tels que retranscrits par Bernard Bourgeois, de la « bestialité paresseuse », et du « matérialisme passif » d’Abraham ? Si nous nous penchons d’abord sur l’animal, celui-ci est considéré comme immergé dans la nature, il en ressort que ce qui doit satisfaire son besoin est à portée de sa main, de là sa présumée paresse. Chez l’homme Abraham cette bestialité paresseuse est un matérialisme dont la passivité le fait nécessairement dépendre d’un Autre que lui, et ceci en deux sens : tout d’abord, l’Autre est la nature, qu’il ne peut s’approprier, étant passif, ensuite, cette dépendance à la nature entraîne une dépendance à celui qui en est le maître, à savoir Dieu. Hegel dira dix ans après l’écriture de ces textes, dans la préface à la Phénoménologie de l’esprit, que pour l’esprit qui pose en face de lui le sujet absolu, désigné par le nom de Dieu, c’est l’être lui-même qui est voilé par ce qui n’est plus alors qu’un nom, dépourvu de toute qualité et pouvant tout aussi bien prétendre les avoirs toutes. C’est cette aliénation que la raison doit surmonter. Hegel ne dit rien d’autre dix ans plus tôt, dans son analyse tendue du judaïsme et du christianisme. Il n’est probablement déjà plus croyant et commence d’entrevoir à travers ses analyses du judaïsme et du christianisme, ce qu’il faut d’effort de pensée pour pouvoir les dépasser. C’est là qu’est cruciale sa compréhension de l’idée de Dieu vécue par les juifs et par les chrétiens. Ce sont ces deux idées qui nourrissent sa propre réflexion.

Mais comme nous ne sommes pas ici pour élaborer une critique de Hegel ou de sa traduction et de son interprétation par Bourgeois, je pense qu’il est essentiel que nous nous attachions à la critique de l’idée que Hegel propose à chaque fois. En quoi la figure du juif comme figure d’une conception déterminée de Dieu nous intéresse-t-elle ? Ce que Hegel dit d’Abraham nous intéresse pour la figure, l’idée de Dieu qui en ressort. Et il en ira de même avec les chrétiens et le christianisme, mais en proposant une autre figure de Dieu. 

Nos précédentes discussions nous ont d’ailleurs constamment ramenés à une interrogation fondamentale, inaugurale : celle de la sortie du Paradis conçue comme première séparation de l’homme d’avec Dieu. Il me semble qu’au final nous étions tombés en accord sur le fait qu’il y avait bien eu là une séparation. Nous avions par contre développé des conceptions différentes pour ce qui était de l’origine de la sortie hors du Paradis et pour ce qui était de ses conséquences. 

La seconde séparation supposée aurait été celle du Déluge, qui aurait marqué une séparation de l’homme d’avec la nature, quoiqu’il avait été discuté entre nous si la sortie du Paradis n’était pas aussi une séparation d’avec la nature, et donc une seconde séparation avec Dieu. Nous aurions donc potentiellement deux séparations qui à chaque fois se répartissent en séparation d’avec la nature et séparation avec Dieu. Nous n’avons pas encore abordé la troisième, supposément l’épisode de la tour de Babel et de Nemrod, qui serait non seulement une troisième séparation entre Dieu et l’homme mais aussi une séparation entre l’homme et l’homme.