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Après avoir passé quelques séances à nous interroger sur la question, non résolue, de la séparation de l’homme d’avec Dieu, séparation marquée par la sortie du jardin d’Eden, je vous propose aujourd’hui de passer un moment à nous pencher sur la question de la séparation des hommes entre eux et, en particulier dans le cas du judaïsme, de la séparation entre ceux qui croient en Yahvé et les autres. Le principe de l’élection, dans l’Ancien Testament, est en effet double : fondé dans le symbolique et dans le naturel.

Le principe de séparation semble ici s’étendre à l’infini et cultiver, en tant que séparation, un autre principe, dont on ne sait que trop bien qu’il a à peu près toujours été brandi comme raison, explication, justification, bref rationalisation, de l’antisémitisme. Ne tournons pas plus autour du pot : ce qui interroge ce n’est pas seulement la séparation entre Dieu et les hommes ou entre Dieu et la nature mais aussi et surtout entre une partie des hommes et tous les autres.

En effet, ce que nous lisons dans ces lignes, et qui se veut quand même assez fidèle à la lettre de l’Ancien Testament, c’est la question de l’élection divine, qui ne relèverait pas seulement, dans le cadre du judaïsme, d’un choix du sujet qui adopterait ou non la Loi de Dieu, mais d’un sujet qui serait naturellement porté à ce choix, parce que ce choix aurait déjà été effectué par Dieu. On sent là une rhétorique qui n’est pas si éloignée que ça d’une certaine rhétorique protestante, bien qu’avec des conséquences historiques tout à fait différentes. Pourquoi “naturellement” ? Naturellement, car c’est bien d’un peuple lié par le sang dont nous parlons : les enfants des descendants d’Abraham, a minima. Peut-on faire partie de la vaste collectivité des croyants qui ont le judaïsme pour religion si l’on ne fait pas partie des descendants d’Abraham ?

Ce n’est pas rien que de faire partie d’une généalogie naturelle plutôt que spirituelle, parce que ça scinde quand même l’humanité en deux et ça ancre tout de même la scission dans l’ordre de la nature, et un ordre de la nature décidé par Dieu.

Vous pourriez me rétorquer que ce principe n’est pas nécessairement exclusif, puisqu’il suffirait peut-être de se convertir et d’énoncer qu’une conversion réussie est la marque, en fin de compte, de cette descendance naturelle. Et pourtant, il est bien écrit dans l’Ancien Testament que tel n’est pas le cas, à savoir qu’il y a bien le peuple élu et ses descendants et… les autres, l’Autre avec un A majuscule, tel que nous l’énonce Bourgeois dans sa lecture de Hegel, qui est aussi… la nature !

Il y a d’ailleurs, jusqu’à ce jour, des études très sérieuses, menées tout aussi bien par des pratiquants du judaïsme ou pas, concernant la génétique du peuple juif. Tout un article y est même consacré sur Wikipedia, encyclopédie en ligne dont les vigies, me semble-t-il, font la traque à toute forme possible d’antisémitisme dans les lignes de ses articles. C’est dire que l’emploi contemporain de la racine genos, qui veut bien dire “origine, naissance”, reste pour le moins ambigu, oscillant constamment entre le culturel, le peuple, et le naturel, le peuple là encore, mais sous-entendu, le peuple biologique, c’est-à-dire partageant nécessairement des ancêtres communs.

Et c’est ce point tout à fait délicat que je vous propose de parcourir aujourd’hui, puisqu’il nous permettra de faire la transition entre l’analyse du judaïsme et celle du christianisme, passant de la différence radicale à l’identité radicale, d’un projet fondamentalement négatif, celui de l’affirmation de la séparation, à un projet qui se veut radicalement positif, celui de l’affirmation de la réconciliation universelle, mais dont les propres errances ont elles aussi été disséquées par le jeune Hegel.

Discussions

Un de nos participants, érudit sur le judaïsme, nous précise plusieurs points, dont certains avaient déjà été soulevés lors de nos précédentes rencontres.

1/ La figure d’Abraham, telle qu’elle est lue par Hegel puis Bourgeois, ne correspondrait pas à la figure d’Abraham telle qu’elle est présentée dans l’Ancien Testament. Abraham n’y apparaît pas comme figure du séparé rejetant l’amour, ne serait-ce que parce que l’amour est et reste un des fondements du monothéisme juif comme du chrétien.

2/ Les juifs ne peuvent être lus comme figure de la séparation des hommes entre eux puisque tout un chacun acceptant la Loi de l’Ancien Testament peut se convertir au judaïsme, telle serait la seule condition à la conversion, à tout le moins dans le cadre d’exercice du judaïsme libéral.

3/ Se convertir au judaïsme n’est pas tant adhérer à une religion que rejoindre une nation. Ce dernier point, que nous n’avons pas eu le temps de développer, mériterait probablement toute notre attention. D’autant plus qu’il recoupe des débuts de discussion autour du concept de nation, dans le cadre du café philo qui se tient tous les samedis.