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Nous nous sommes demandés pendant environ 45 semaines, 45 séances, quel était notre rapport au monde, que ce soit dans le contact sensible direct et insensé, que ce soit par la médiation des institutions sociales, ou par celle du langage, on pourrait en retenir trois dimensions constitutives du sujet, le sujet de l’énonciation, celui qui parle. Trois dimensions pour figurer trois ancrages : un ancrage dans le corps anatomo-physiologique sensible sentant, un ancrage dans le social, la socialité, et un ancrage dans ce moi qui dit je.

En glanant deci delà dans l’histoire de la philosophie, et même peut-on dire de manière plus large dans la pensée, il ne semble y avoir que très peu d’œuvres qui conjuguent réellement ces trois dimensions, ou alors beaucoup d’œuvres, mais sans les concepts et sans l’articulation de ces concepts. C’est un des très vastes enjeux, un des très vastes chantiers, de la pensée contemporaine, que de ressaisir l’ensemble, et surtout de ressaisir l’ensemble sans jamais mettre une dimension au cœur de toutes les problématiques.

Il est peut-être vrai que la finesse d’une telle élaboration demande un effort de pensée tout à fait inouï. Comment, en effet, ne jamais céder à la tentation de rompre la puissante dialectique qui articule ces trois dimensions. Nous glissons sans cesse dans notre propre devenir de l’une à l’autre, sans jamais pouvoir nous en rendre compte par une expérience directe, autrement que d’une manière nécessairement parcellaire. Notre pensée semble tout à fait incapable de conceptualiser le mouvement lui-même qui nous fait osciller du réel brut et insensé de la matière vers la pensée elle-même, qu’énonce un sujet, ou vers sa détermination par les institutions et le langage. Et de ces deux dernières, socialité et langage, vers la première, le corps matériel, ou de l’une à l’autre, constamment, dans un flux ininterrompu.

Nous n’habitons ces trois dimensions en même temps, dans un temps pour nous figé, qu’au seul moment où nous n’avons pas la possibilité de les penser. Seuls les êtres à venir et les morts, peuvent penser d’une pensée qui n’est pas encore ou qui n’est plus, tout à la fois, conjointement, la matière pure, la socialité pure, et la pensée pure.

Et nous, les vivants, qu’y pouvons-nous ? De ces moments, dont la pensée d’un sujet singulier, pas encore formée ou déjà dissoute, est en germe ou en reste, que pouvons-nous penser ? N’y a-t-il, pour nous, vivants, de pensée que du sujet vivant ? Quelles sont ces traces que nous inscrivons avant d’être nés ou de ces traces qui restent après que nous soyons morts ? Les fantômes de la langue habitent une éphémère éternité. Et nous, les sujets vivants qui habitent et énoncent la langue, quelle est notre éternité, est-ce le présent ?