Ci-dessous les notes de présentation du Café Philo utilisées pour cette première séance.
Nous allons aujourd’hui essayer, tenter, de poser les bases, les fondements, de nos futures rencontres dans le cadre de ces “cafés philo”, ici, chez Convergences.
Thème d’aujourd’hui : “l’exercice de la philosophie”, et par conséquent l’exercice des cafés philo, qu’est-ce qui les rend possibles, à quelles conditions ?
Dans un très récent Eloge de la philosophie, un philosophe français contemporain, un des plus reconnus et des plus traduits au monde, nous dit-on, Alain Badiou, essaie de définir ce qu’est la philosophie et quelles sont les conditions de son exercice.
Il pose tout d’abord, comme bien d’autres avant lui, que la discussion philosophique n’est pas un simple échange d’opinions.
Il y a un certain nombre de ce que Badiou appelle des réquisits à l’exercice de la philosophie.
Un réquisit c’est déjà un mot technique, il n’est par exemple présent ni dans le Dictionnaire historique de la langue française dirigé par Alain Rey, ouvrage que je vous recommande vivement, ni dans le très classique Littré. Il n’est pas non plus dans le Cuvillier, pour ceux qui connaissent, mais figure par contre, et fort heureusement, dans le Lalande. Un réquisit donc, c’est : “Ce qui est nécessairement requis pour une fin donnée.” On ne saurait donc s’en passer.
Je vous propose donc pour commencer, de nous entendre sur les réquisits de nos séances, tels qu’ils sont formulés par Badiou.
Les voici.
Premier réquisit :
“acceptation d’une vision démocratique de toute affirmation normative”
“La liberté de pensée”
Il ajoute :
“Tout philosophe produit des énoncés destinés de façon explicite, à être examinés, discutés, critiqués, approuvés, anéantis, éternisés, tant par d’autres philosophes que par n’importe quel auditeur ou lecteur” avec pour seule condition que celui qui parle apporte des preuves, par son argumentation, montrant qu’il a déjà réfléchi au sujet abordé
“la philosophie est une proposition intrinsèquement ouverte à la discussion”
“le philosophe en tant que tel n’est pas le garant de son discours, sa parole n’est pas protégée ou validée par son rang”
“La philosophie est définie non par la fascination qu’elle peut exercer, mais par la discussion qu’elle engage”
“Le philosophe ne parle que parce qu’il est en mesure de produire des arguments concernant ce qu’il avance, autrement dit la philosophie est une libre – au sens social du terme – détermination de la pensée”
Pour que la philosophie ait lieu il faut que la notion de vérité soit détachée de la figure du pouvoir, ou d’autorité : il y a disjonction entre vérité et pouvoir, c’est là le sens du mot démocratie.
Deuxième réquisit :
Le premier réquisit, “la liberté de pensée”, “suppose l’existence de son contraire : une loi de la pensée partagée par tous (…) : ce à quoi il n’est pas possible de se soustraire.”
“Il est en effet impossible de discuter d’une proposition, ce qu’exige la démocratie, sans qu’existe une loi, commune au philosophe et à son interlocuteur, et définissant ce qu’est une discussion rationnelle, et donc ce qu’est un argument universellement valable.”
“Si l’on veut une discussion paisible (…), il faut qu’existent des lois de la pensée, auxquelles la discussion doit obéir”
“La discussion est uniquement possible s’il existe un cadre logique commun, une logique commune, car l’argumentation se fonde non sur la valeur intrinsèque d’une proposition, mais sur les conséquences de vos propositions ; vous affirmez quelque chose, et l’affirmation qui suit est la conséquence de cette première affirmation.”
“Ainsi, pour que chacun puisse participer à la discussion philosophique il est nécessairement requis qu’existent un cadre logique commun et une loi commune de la rationalité.”
Tout propos est soumis à une loi des conséquences, aucun propos n’est en soi autosuffisant, péremptoire, c’est-à-dire fermant la discussion, tout ce qui est énoncé a des conséquences que nous aurons à chaque fois à examiner.
Troisième réquisit :
“La possibilité de l’universalité”
“L’universalité est le nom de l’idée selon laquelle tout le matériel de la pensée, affirmations, conséquences, discussions, réfutations, hésitations, certitudes, tout cela est adressé à tout un chacun sans restriction.”
Tout propos énoncé s’adresse à tout le monde. Pour le dire autrement : il n’y a pas ici de discussion entre spécialistes, en particulier afin d’éviter tout rétablissement anti-démocratique et, donc, anti-philosophique d’une autorité, quelle qu’elle soit.
“L’affirmation égalitaire” : “l’absolue égalité des êtres humains sur le plan de la pensée pure”
“Un argument rationnel peut être proposé” (par tout un chacun) “à n’importe quel sujet humain”
“Cette égalité philosophique est composée de deux termes.”
Le premier terme : “le concept de vérité”.
“Une vérité est un énoncé qui, quant à sa valeur, n’entretient aucun rapport avec le statut social (esclave ou propriétaire, prolétaire ou bourgeois), les identités nationales (pays ou langues), ou encore les déterminations corporelles (couleur ou sexe).”
“Chacun est égal devant une vérité, chacun peut reconnaître une vérité quand il la rencontre” (exemple : la longueur de la diagonale du carré, dans le Ménon de Platon)
Le second terme : “l’existence de la pensée”
“Cette part de l’être humain en général qui peut avoir accès aux vérités”
“La détermination fondamentale de l’être humain comme tel”
Ce qui détermine l’être humain c’est la possibilité d’accéder à des vérités universelles par l’exercice démocratique et égalitaire de la pensée.
Tout individu particulier est, par son humanité, le support possible d’une pensée universelle du vrai.
Nous traduirons ça, et en ferons ici en quelque sorte la devise de nos “cafés philo”, par : “Les gens pensent”
C’est, au regard de ce qui vient d’être énoncé, une devise bien plus forte qu’il n’y paraît.
(Ce qui pense, c’est le Sujet.)
(“Vérité et Sujet, ces deux idées corrélées, que l’on peut réunir sous le mot d’universalité, constituent le troisième réquisit pour l’existence de la philosophie.”)