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Quelques mots sur le dernier texte de Bernard Bourgeois, dans lequel il déplie la problématique qui a traversé tout son livre sur . Ensuite, quelques mots sur le chemin que nous avons parcouru ensemble et sur la suite, l’ouverture d’un nouveau cycle sur les “questions politiques du jour”.

La politique, selon Bourgeois, c’est l’institution, “l’institution par excellence”, l’Etat. Toutes les formes d’organisation qui ont précédé l’État n’en ont été que les prémices, elles étaient déjà l’État dans le concept mais pas encore dans sa pleine réalisation, l’État comme institution. Cet Etat réalisé, celui dont nous nous sommes demandé s’il ne signalait pas au moins une certaine “fin de ‘histoire”, égalise et totalise les individus. Il les égalise au regard de la loi, “le législatif uniformise”, et il les totalise en les soumettant à son autorité, “l’exécutif qui unifie efficacement”. Égalisation et autorité vont à l’encontre de “l’originalité et la spontanéité”, caractères naturels de la vie, qui dans la vie proprement humaine est vie se sachant elle-même, vie libre. Où l’on retrouve aussi une de nos préoccupations antérieure, la liberté, dont nous croisons les errances tout aussi bien dans le café théo. Le milieu dans lequel s’exerce cette vie libre, c’est le “milieu non politique concret, idéel et réel”. Or, ce que Bourgeois qualifie d’idéel, de milieu idéel, c’est, nous dit-il, le milieu “culturel, intellectuel, spirituel, en particulier religieux”. Là, c’est la problématique de la laïcité qui repointe le bout de son né. Le milieu réel serait quant à lui l’économie, à laquelle il ramène “la société civile”. L’État, lui, se trouverait entre les deux. Nous aurions un triangle qui ressemblerait à quelque chose comme : l’Eglise, l’Etat, les citoyens. Et l’Etat, bien que son apparition soit conditionnée par l’Eglise et les citoyens, le religieux, idéel, et la société civile, réelle, l’Etat, donc, détermine lui-même son exercice. Cette liberté de l’Etat, l’Etat libéral, lui permet d’assurer à son tour la liberté des hommes, qu’elle soit religieuse ou économique. Ici, l’ordre politique garantit la vie libre. 

Pour autant, la coupure “entre gouvernants et gouvernés”, qui résulte du système représentatif, implique que la totalité formée par l’ensemble des citoyens n’est pas réellement agie, cette totalité n’exerce pas directement le pouvoir politique, elle le délègue. Il faut donc qu’un autre principe, qui ne soit pas la politique en tant que telle, l’institution, vienne subjectivement souder la société civile, pour que la communauté politique puisse être pleinement vécue. C’est la fonction du patriotisme, de la République, de la nation. Seulement, écrit Bourgeois, avec la fin des régimes socialistes la mobilisation militaire, mobilisation citoyenne, le devoir civique, ont perdu en vigueur, en investissement, transformant rapidement le citoyen en attribut du sujet (on parlera d’un sujet “citoyen”) alors qu’en réalité il revient toujours au sujet (libre) d’être avant tout, essentiellement, un citoyen (le citoyen-sujet), c’était le propre d’ailleurs de ce qui tombait sous la définition du social en tant qu’opposé, alors, à l’intersubjectivité sociétale. Rappelons aussi que le consensus intersubjectif ne peut avoir lieu que par la dissolution du bavardage intersubjectif dans la volonté générale qui soutient alors l’Etat. Et l’on retrouve la nation ! C’est dans l’enracinement “national” que l’intersubjectivité sociétale se (re)fait sociale, Etat. C’est ce qui fait, chez Bernard Bourgeois, de la nation l’âme de l’Etat, son socle, qui lui permet d’assurer la liberté totale de l’esprit.

C’est ainsi dans la politique et donc dans l’Etat que se réalise la liberté humaine.

La conception toute particulière que Bourgeois propose de la politique est, il le dit et nous l’avons dit, d’essence libérale. Bourgeois critique l’intersubjectivité tout en en reconnaissant la place prépondérante dans la société civile, donc, suivant sa définition, dans l’économie, il ne critique pas tant l’intersubjectivité comme forme moderne d’expression des individualités, et de la liberté individuelle, que comme potentiel de dissolution du social, et il élève la forme la plus consensuelle de cette intersubjectivité sociétale, la volonté générale, au social qui se totalise dans l’Etat. Relecture libérale de Rousseau, qui n’en demandait peut-être pas tant. La triangulation religion, Etat, société civile, avec son fumet d’Ancien Régime, quoique Bourgeois revienne sans cesse à 1789, mais c’est une autre histoire, garde l’Etat à son sommet, qui ordonne et garantit les modalités d’auto-affirmation de la liberté des sujets. Il n’y a pas dans cette ontologie politique de l’Etat de possibilité d’un en-dehors. Dès qu’il y a la liberté, liberté politique hors de l’état de nature, il y a l’Etat, au moins sous la forme de son concept. L’histoire est l’histoire de la réalisation de l’Etat comme institution garantissant la liberté des citoyens d’une nation. Il en va ainsi de l’Etat, conçu comme instance majeure du déploiement libéral de la liberté, comme du Capital, conçu comme forme la plus naturelle de l’économie des hommes, l’histoire des peuples et des civilisations ce serait en fin de compte leur histoire. Je suppose que certains d’entre vous au moins commencent à saisir tous les risques de cette pensée. L’Etat selon Bourgeois est le parfait complément et le parfait garant des libertés religieuses et économiques. C’est ce que j’ai appelé ailleurs la position libérale conservatrice par excellence. Libérale, car entendant se reposer sur et soutenir la liberté se réalisant elle-même. Conservatrice, parce que n’admettant pas d’autres formes de totalités sociales que celles de l’Etat et de la nation.

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Au début de ces cafés philo, nous nous sommes interrogés sur les accès possibles à l’être, en nous efforçant dans un premier temps d’écarter toute forme d’accès qui relèverait du sens, présupposant alors que le sens, en particulier quand il provient du langage, ne pouvait qu’obscurcir ces accès. Nous avons essayé de respecter le plus possible cette consigne, en évoquant ces rares moments vécus, ces abords existentiels des points d’extinction de la conscience que nous procurent, par exemple, l’orgasme, l’intoxication psychotrope, les expériences de mort imminente, l’illumination mystique, ou encore une douleur extrême ou un moment d’éveil méditatif, la joie aussi, peut-être. De là nous avons pu commencer à cerner qu’il y avait de l’intime qui était somme toute tout à fait commun. L’intime et le commun a été le thème de notre second cycle, abordant successivement la douleur, la souffrance, l’angoisse, l’extase, la félicité, la joie et la béatitude. Ce deuxième cycle s’est terminé sur une séance dans laquelle nous interrogions les concepts d’âme, de souffle et de corps. Le troisième cycle a été pour nous l’occasion de faire se rencontrer ces subjectivités et ces corps, ces sujets incarnés ou ces corps subjectivés, dans le grand bain de la volonté générale, de la totalité sociale, de l’Etat-nation, et du consensus intersubjectif qui animerait la société civile et l’économie. Ce qui manque, pour compléter provisoirement le tableau de notre première année de discussion, c’est le sujet, sujet social et politique, sujet psychique, sujet grammatical de l’énonciation, celui qui dit “je”, quel est-il ? Nous commencerons à partir de la semaine prochaine notre quatrième et dernier cycle de l’année, sous l’intitulé : “quel est le sujet ?”