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Il parle de la douleur, c’est qu’il est doloriste. Et bien non. Et pourquoi non ? Parce que je ne vois, moi, aucune morale dans cette affaire là. Absolument aucune. Et puisqu’il faut à nouveau le rappeler : ce à quoi, ce vers quoi, j’essaie, avec mes maigres moyens, de vous amener, c’est à la trace avant le sens. Et très précisément à la trace, aux traces, de l’être. La douleur dont je veux vous parler, c’est la douleur insensée. Le dolorisme ne m’intéresse pas. La douleur, oui. Et encore, pas n’importe laquelle. Je le redis : la douleur qui n’a pas de sens. Et, donc, aucune vertu morale. Mon propos ne privilégie pas la douleur physique pour de supposées vertus morales. La douleur indicible n’est jamais ici qu’un des chemins possibles d’accès à l’être parmi d’autres, et non un chemin privilégié. J’entends bien nous amener à discuter des autres chemins qui pourraient eux aussi nous indiquer des voies d’accès à l’être en tant qu’être. Et pas seulement des voies d’accès corporelles, même si nous en passerons quelques-unes en revue. Il y a, nous l’avons déjà évoqué ensemble, d’autres voies d’accès, telles par exemple la poésie ou la mathématique. 

Mais pour aujourd’hui, passons à nouveau un peu de temps sur ce qui fait mal.

Douleur, donc, indicible, aussi. C’est un peu agaçant, sans doute, à la fin, de tout le temps vous ressasser que nous devrions nous efforcer de travailler sur ce qui n’a pas de sens. Et pourtant. S’imagine-t-on vraiment que nous serions en permanence dans un bain de sens, alors qu’à travers de multiples expériences nous sommes régulièrement confrontés à ce qui n’a pas de sens. La douleur. L’angoisse. Nous les avons toutes deux évoquées. Vient maintenant la souffrance, comme le proposait un participant de la semaine dernière.

Pour une fois je vais céder à l’envie de sens, à l’étymologie. Pas sûr que ça nous aide, mais essayons.

“Douleur”, du latin dolorem, de dolor, doloris : “souffrance physique ou morale”. Bon, c’est pas terrible. 

“Angoisse”, du latin angustus : “étroit, serré”. C’est mieux, et ça nous rappelle ce que je vous ai déjà énoncé, à savoir que l’angoisse c’est l’insistance du vide qui nous constitue physiologiquement, nous les outres, qui se resserrent quand quelque chose cloche.

“Souffrance”, du latin sufferre : “supporter”, “endurer”. Bon, ça va pas du tout, en fait.

La dernière fois, quelqu’un avait souligné une sorte de différence entre accepter la douleur ou la supporter. Mais vous voyez bien qu’en réalité la douleur, ou la souffrance, puisqu’il semblerait que ce soit tout pareil, ça ne peut pas se supporter, puisque souffrir, c’est déjà supporter. Nous avons d’ailleurs l’expression “je ne peux pas le souffrir”.

Mais moi, ce qui m’intéresse, c’est justement ce qui est insupportable.

Alors, est-ce qu’on peut souffrir de l’insupportable ?

On peut souffrir d’une douleur. Mais est-ce qu’on souffre d’une douleur insupportable ? 

En réalité, cette douleur insupportable, on ne peut pas la souffrir.

Et comme on ne peut pas y mettre de mots, on peut aussi en souffrir par l’angoisse. 

Je reprends : une douleur insupportable, comme on ne peut pas la souffrir, la supporter, elle nous fait, quand même, souffrir d’angoisse.

Si on regarde l’anglais, on se retrouve à peu près avec le même résultat : douleur se traduit par pain, qui vient du français peine, du latin poena, punition, châtiment. C’est-à-dire quelque chose de subi.

Supporter, subir.

L’allemand ? Un peu différent, puisque schmerz, douleur, souffrance, vient du proto-germanique smertana, racine commune à l’allemand, l’anglais, le frise, le saxon, le néerlandais, le danois, le suédois, le norvégien… et smertana veut dire blesser.

Il y a donc dans les langues germaniques, l’idée que la douleur ou la souffrance ont une origine, être blessé.

Quant à l’angoisse, langues germaniques et langues latines ont la même racine proto-indo-européenne h₂énǵʰ qui signifie “rétrécir, serrer, comprimer”.

Enfin, si nous continuons nos recherches nous nous rendons aussitôt contre que cette même racine est aussi celle du latin ango, is, ere : “serrer”, en particulier “serrer la gorge”, “étrangler”, “faire souffrir”, “tourmenter”.

Une fois de plus nous sommes dans le champ de ce qui ne peut que difficilement, voire pas du tout, se dire.

Alors pour parler de ce qui ne peut pas se dire, je vous laisse la parole.

Discussions

Pendant les discussions il devient de plus en plus clair que le triptyque douleur-souffrance-angoisse, lorsqu’il est pris comme surgissement de l’insensé et de l’inexprimable, c’est-à-dire dans des situations bien particulières où le sens s’efface, ou ne peut surgir, ce triptyque, donc, fait signe vers le réel de notre corporéité la plus charnelle : nous sommes des corps qui sentent, et qui pensent, mais qui pensent dans un après logique, une succession à cette corporéité charnelle. Ces corps sensibles, sentant, sont corps sensibles et sentant avant même qu’un sens, qu’une signification, n’émerge. Nous procurant un accès à ce réel de notre être, douleur-souffrance-angoisse sont des expériences singulières dont l’écoute nous (re)conduit, donc, à notre corps qui est en tant qu’il est.

Bouclant (provisoirement ?) cet aspect de nos accès possibles au réel de l’être, de ce qui est en tant que cela est, nous convenons d’aborder un autre accès possible à partir de la séance du 27 avril sous le thème “extase et félicité”.