Nous rentrons aujourd’hui dans le vif du sujet, la première semaine.
« Méditer selon les trois puissances de l’âme, à propos du triple péché. »
« une prière préparatoire » :
À sa gloire et à son culte -> acte de dévotion
« deux préludes » :
Organisation matérielle et préparation spirituelle
« trois points principaux » :
1. Le péché des anges
2. Le péché des parents (Adam et Ève)
3. Un péché mortel
« avec un colloque »
D’ami à ami, de serviteur à maître, ressaisir ce qui m’oblige à la dévotion, à travers la reconnaissance de mes erreurs et la demande de grâce que je formule.
Il me semble que le texte nous appelle à réfléchir sur la dévotion, c’est-à-dire sur l’impératif de se dévouer à Dieu, sur l’humiliation, comme parcours d’apprentissage de l’humilité, et in fine sur la soumission à Dieu, comme rencontre de la dévotion et de l’humiliation. Et je voudrais vous interroger sur les effets recherchés de cette pratique. Peut-on, doit-on, en tant que croyant, traverser ce chemin de honte et de déploration, et quel en est le but ? C’est une question tout à fait fondamentale qui ne laisse place à aucun doute : nous sommes corrompus, trois fois corrompus : par le péché des anges, le péchés d’Adam et Ève, et les péchés mortels dont nous pouvons nous rendre coupables, pas la peine d’y ajouter, d’ailleurs, la liste des péchés secondaires, ceux dont nous nous rendons tant coupables qu’ils sortent de la vue des exercices.
Il est intéressant de remarquer qu’ici il n’y a pas de promesse, pas de promesse d’amélioration de soi, pas de promesse de bien, ni pour soi ni pour le reste de l’humanité. Ce n’est pas de développement personnel dont il est question, ni de progrès de l’âme. L’exercitant apprend à reconnaître sa faillibilité et sa petitesse face à la grandeur et la perfection de son seul et unique Maître, Dieu.
Toute l’organisation des journées de cette première semaine tend à faire sentir et reconnaître par l’exercitant son immense petitesse et son immense culpabilité, non seulement dans son âme mais aussi dans sa chair. Les mortifications sont nombreuses, depuis l’organisation de la journée, essentiellement rythmée par une introspection visant à la reconnaissance de nos fautes, l’organisation du sommeil, par le rythme de la journée mais aussi par le dispositif matériel du sommeil, la position adoptée pendant la méditation, et les gènes physiques volontaires qui, si elle ne doivent pas mettre en danger la santé physique, testent constamment les limites de cette santé.
Ce texte est d’autant plus intéressant qu’il vient tester, en quelque sorte, ce qui a de nombreuses fois été avancé concernant l’historicité des pratiques. Combien de fois n’avons-nous pas entendu ici-même que le christianisme s’adaptait à son époque, et qu’il ne fallait pas toujours prendre au pied de la lettre ce qui nous était dévoilé dans des textes d’une autre époque que la nôtre. Et pourtant, si réellement il fallait adapter ces exercices aux temps modernes, n’en viendrions-nous pas à les dépouiller tout à la fois de leur contenu et de leur objectif ? N’y a-t-il pas un ancrage profond de ces exercices non pas dans une époque de l’histoire, mais bel et bien dans le cœur même de la théologie chrétienne, ou à tout le moins de la théologie catholique ? Et les écarter d’un revers de la main par souci d’historicité ne reviendrait-il pas à remettre en question l’ensemble de l’édifice théologique en son noyau le plus stable et le plus certain : la soumission de l’homme à Dieu, l’appel constant de l’homme à ce qu’il faut bien, quand-même, appeler une incontournable médiation. Que le médiateur soit Dieu, le Christ ou la Vierge Marie, il semble bien que nous ne saurions nous en passer, et que nous ne saurions nous passer de notre dévotion et de notre soumission.
Je voudrais aussi revenir brièvement sur l’emploi de la raison, qui est plusieurs fois souligné. Cet emploi n’est pas sans écho avec nos précédentes discussions sur l’articulation de la foi et de la raison. En effet, il est constamment fait appel à l’utilisation de l’intelligence, dans un seul et unique but, qui n’est pas l’exercice d’une pensée critique, si ce n’est une pensée critique de soi. La raison, ici, n’interroge pas les exercices eux-mêmes ou leur fondement, mais a pour seule et unique fonction d’assurer la rectification du sujet, de l’exercitant, pour qu’il se conforme à l’injonction de soumission par la reconnaissance des péchés, soit des erreurs commises tout au long de la vie de celui qui s’engage dans la voie de la dévotion.
Enfin, nulle promesse mais une menace, lourde, qui pèse sur ceux qui s’engagent dans les exercices, la menace de l’Enfer. Et là encore, il ne serait pas inutile de revenir sur ce point, sur cette menace : celui qui ne traversera pas dans l’intensité des exercices, ce qu’il lui est commandé d’accomplir, à savoir la reconnaissance de son infinie médiocrité devant la splendeur du sacrifice des anges et du Christ, donc du sacrifice de Dieu pour nous, sera voué, se vouera lui-même par son insoumission, à errer éternellement en Enfer.
Alors, à la lecture de cette première semaine d’exercices, me vient une dernière question : qu’est-ce que l’Enfer ?