Avant d’entrer dans la lecture des exercices spirituels, rappelons qu’ils ont avant tout été écrits pour des instructeurs, afin qu’ils les utilisent pour guider l’exercitant, celui qui suit les exercices. Nous retrouvons, sous-jacent, le thème du guide, commun à de nombreuses traditions initiatiques : le maître, le sensei, le guru, sont tous des guides qui détiennent les clés d’une initiation spirituelle, qui en connaissent la loi, et qui connaissent le discours de la loi, le dogme, condensé par exemple chez les chrétiens dans l’énoncé du Credo.
Ici, comme nous allons le voir dans les semaines qui viennent, il s’agit de toute une procédure, complexe, qui doit permettre à l’instructeur, au guide, d’accompagner l’exercitant en prenant en compte la particularité de son expérience et de sa situation. L’exercitant doit être guidé pour accepter la présence de Dieu dans sa propre vie, quelle que soit cette vie.
Et comme c’est du dogme chrétien, catholique, dont il s’agit, on retrouve la présence de la figure du Christ dans l’ensemble du texte. Ainsi, traversé par l’appel du Christ, l’exercitant entre dans un cycle de dévotion. Il lui revient de se dépouiller de son égo pour pouvoir accueillir la présence de Dieu. Le principe de l’élection est l’objectif des exercices et se situe au centre du texte, tant bien centre conceptuel que centre matériel, au milieu du texte, ainsi bâtit comme un parcours, avec des cercles concentriques, on va y revenir.
Une série d’intermédiaires apparaissent entre l’homme et Dieu : l’instructeur, le monde, le Christ. La communion entre l’exercitant et le Christ, car c’est bien le Christ qui occupe la place centrale entre l’homme et Dieu, revient alors à embrasser la présence de Dieu et la présence du monde en embrassant la présence du Christ, en s’offrant à Dieu. Mais tout aussi bien, la création n’occupe-t-elle pas ici aussi la même place que celle du Christ ? Entre distinction, séparation, et communion, un mouvement de pendule s’installe, dont le parcours des exercices propose la solution dans une commune réunion dont la source est l’Amour, et pas seulement amour de Dieu pour ses créatures ou amour de l’homme pour Dieu, mais d’un amour fusionnel, qui alimentera bien plus tard deux grands courants artistiques du XIXe siècle : le préraphaélisme et le romantisme.
Peut-on observer le même type de dispositif dans d’autres pratiques religieuses ? Qu’en est-il ?
On peut par exemple penser à la littérature juive sur la repentance, par exemple dans Le livre de la connaissance de Moïse Maïmonide, que je suis assez tenté de vous proposer à la lecture une fois que nous aurons fini celle des Exercices spirituels.
Une des questions sous-jacentes étant la suivante, qui implique bien plus que la question de notre rapport direct ou non à Dieu, au divin, à l’irrationnel, au principiel indiscutable : faut-il nécessairement un intermédiaire entre l’homme, le monde et le divin ? Ou, pour le dire autrement, cette fois dans une lecture athée qui nous rappelle nos discussions de l’an passé sur les textes de Hegel : dans le discours de la foi, n’est-ce pas Dieu, ou l’idée de Dieu, qui se fait médiation entre l’homme et le monde, instaurant alors non plus une communion, mais bel et bien une séparation, une séparation qui n’aurait comme seule solution que la dévotion à ce qui justement sépare et un dévouement à ceux qui proclament en connaître un bout suffisant pour être les maîtres de ceux qui en connaissent un moindre bout ? Soit, interroger ainsi la nature de la relation entre le croyant et son Église, son clergé, son rabbinat, et ainsi de suite.