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Entrons aujourd’hui, si j’ose dire, dans le vif du sujet, avec le premier chapitre de la première partie du Livre de la connaissance de Moïse Maïmonide, ce Livre constituant lui-même le premier livre d’une œuvre bien plus vaste, le Mishné Torah, ou « Répétition de la Torah », elle-même composée de 14 livres.

Le questionnement sur l’existence de Dieu et sur sa nature est très souvent au cœur de la réflexion métaphysique et théologique. Ce premier chapitre se propose tout simplement de démontrer l’existence de Dieu, non comme simple hypothèse, mais comme nécessité première, fondement absolu de toute réalité, de tout être, de toute existence. Dieu est présenté comme l’Être premier, source de toute chose, condition de possibilité de tout ce qui existe. Tous les êtres, toutes les réalités que nous connaissons, y compris nous-mêmes, existent, mais pourraient ne pas exister ; leur existence, notre existence, n’est ni nécessaire ni inconditionnée. En remontant la chaîne des causes, un principe premier s’impose, qui ne soit pas lui-même causé par quoi que ce soit, qui que ce soit, mais qui rende possible l’existence de tout le reste. Ce principe premier, cette cause première, c’est Dieu. Tout ce qui est, est par Dieu, et ne saurait être par soi-même, puisque rien de créé n’est à soi-même sa propre origine.

Admettre que Dieu n’existe pas, ce serait donc admettre que rien n’existe – ni être, ni chose, ni nous-mêmes –, tout ce qui existe tenant son existence de Dieu. Inversement, même si rien de ce qui existe n’existait, Dieu demeurerait, car son existence n’est tributaire de rien. Dieu ne dépend pas de sa création pour être ; il existe par lui-même, de façon nécessaire et inconditionnée. Il est la Vérité même, et la réalité de tout ce qui existe trouve en lui son origine et son fondement.

La question de l’unité de Dieu découle immédiatement de cette conception. S’il existait plusieurs dieux, il faudrait alors qu’ils se distinguent les uns des autres. Or, la distinction entre plusieurs êtres implique nécessairement une différence de nature, de propriétés, de qualités. Mais si Dieu est l’Être premier, sa nature ne saurait être partagée ni multipliée : il ne peut y avoir plusieurs êtres premiers, puisque cela supposerait qu’ils tirent leur être de quelque chose d’autre qu’eux-mêmes, ou qu’ils soient différenciés par des propriétés qui limiteraient leur essence.

Or, l’unité d’un être étant généralement celle de son corps, qui le distingue de tous les autres êtres corporels par des qualités singulières, si Dieu était corporel, il appartiendrait lui aussi à un genre, à une classe d’êtres dotés de corps, dont chacun se distinguerait par des caractéristiques physiques, corporelles. Cette multiplicité serait contraire à l’idée même de Dieu, car il serait un être parmi d’autres, et non l’Être premier. Dieu est donc unique, non pas à la manière d’un individu qui se distingue des autres, mais comme l’Un absolu, principe de toute unité et de toute multiplicité, sans qu’il soit possible d’imaginer une pluralité de dieux.

Cette unité radicale entraîne une conséquence essentielle : Dieu n’a pas de corps. Le corps est par définition limité, fini, mesurable, situé dans l’espace et dans le temps. Et tout ce qui est limité appartient à un ensemble, à un genre, et dépend de conditions extérieures à lui-même. Dieu, lui, ne saurait être limité ; il est infini, illimité, hors de l’espace et du temps. Sa puissance, sa réalité même, ne sont pas matérielles : elles ne relèvent ni de la quantité, ni de l’étendue, ni du lieu. Dire que Dieu aurait un corps, ce serait nécessairement limiter sa puissance, la soumettre aux lois de la nature, à la finitude de la matière, à l’usure et à la division. Mais Dieu, par définition, est tout puissant, sans bornes ni restrictions ; il ne peut être contenu dans une forme ni dans un espace. Ce que Maïmonide essaie ici de penser c’est la possibilité d’un Être, Dieu, qui soit infiniment puissant et unique, et cause première absolue de tout, et les conséquences de son existence. Ce qu’il nous dit, ce n’est pas pourquoi Dieu existe, mais ce qu’implique son existence, et ce qu’impliquerait qu’il n’existe pas.

Il en résulte que toute expression qui prête à Dieu un membre, une main, un visage, ou tout autre organe, doit être comprise comme une métaphore, comme une figure de style qui traduit, dans le langage limité de l’homme, ce qui relève de la puissance infinie et immatérielle de Dieu. Le langage humain, par sa nature, ne peut qu’approcher la réalité divine sans jamais pleinement la saisir. Ces métaphores ne doivent pas être prises littéralement : elles traduisent seulement l’infinité et la puissance de Dieu sous des formes accessibles à la compréhension humaine.

Puisque Dieu n’a pas de corps et qu’il est hors des limites de la matière, sa puissance n’est pas matérielle non plus. Elle n’est pas l’action d’un bras, la force d’une main, la capacité d’un muscle. Sa puissance est de l’ordre de l’être pur, sans médiation, sans intermédiaire, sans effort ni transformation. Dieu crée et agit par sa seule volonté. La rotation de la Terre, le mouvement des astres, la naissance et la disparition des mondes ne sont pas le fruit d’une action mécanique de Dieu, mais l’expression de son vouloir éternel, qui donne l’être à tout ce qui est.

La nature matérielle de l’homme, conditionnée par son corps, sa finitude, sa dépendance à la matière, l’empêche de saisir pleinement la puissance divine. L’intelligence humaine, limitée à la perception sensible, ne peut qu’entrevoir, à travers le voile du monde matériel, l’infinité de Dieu. Il est de la nature de Dieu d’échapper à la connaissance humaine, car il n’est ni un objet, ni une chose, ni un phénomène, mais le principe et la source de tout. Les affects, les passions, les mouvements de l’âme, sont autant de limites, de manifestations humaines, qui voilent la vision de l’absolu. Ce que l’homme peut saisir de Dieu n’est qu’ombre ou reflet, image imparfaite de la réalité divine.

N’ayant pas de corps, Dieu n’est soumis à aucune limite d’espace. Il n’est pas « quelque part » ; il est partout, c’est-à-dire qu’il n’est contenu dans aucun lieu, ni confiné à aucune région de l’être. Dieu n’est pas non plus soumis au temps. Il n’a pas ni commencement, ni fin ; il est éternel, immuable, identique à lui-même, hors de tout devenir. Les catégories qui s’appliquent à la vie humaine – naissance, croissance, mort, mouvement, changement – ne s’appliquent pas à Dieu. Il n’est pas vivant au sens où nous l’entendons, puisqu’il n’a ni naissance, ni vieillesse, ni souffrance, ni mort. Il n’est pas non plus pensant au sens humain, car sa pensée ne connaît ni hésitation, ni ignorance, ni découverte. Il est la Pensée même, la Connaissance parfaite, sans effort, sans progrès, sans oubli.

Les affects, les sentiments, les émotions, sont étrangers à Dieu. Ce ne sont que des modalités de l’âme incarnée, soumise à la passion, à l’incertitude, à l’incomplétude du corps. Dieu, étant parfait, ne subit pas les passions ; il n’est pas en proie au doute, à la colère, à la joie ou à la tristesse. Toutes les expressions anthropomorphiques, toutes les descriptions qui attribuent à Dieu des sentiments humains, sont des images, des métaphores destinées à rendre sensible l’action et la volonté de Dieu, à des créatures nécessairement limitées dans leur compréhension.

Affirmer l’existence de Dieu, c’est reconnaître l’existence d’un Être premier, sans lequel rien ne saurait être, d’un principe unique, sans corps, infini, éternel, tout puissant, qui échappe à la mesure de l’homme, à ses catégories, à ses limites. Dieu seul est la Vérité, la source de tout être, la cause de toute existence, la raison première et dernière de tout ce qui est. 

Mais, inversement, l’existence de Dieu n’est pas remise en cause par l’absence du monde ou de toute créature. Il existe en soi, par soi, et ne dépend d’aucune autre réalité. L’homme, dans son langage, dans ses représentations, ne peut qu’approcher la réalité divine par analogie, par image, en sachant que toute parole sur Dieu est toujours, en un sens, inadéquate, imparfaite, et que seul le silence, parfois, témoigne de la grandeur et de la transcendance absolue de Dieu.