La quatrième et dernière semaine des Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola est comme l’aboutissement d’un long et douloureux itinéraire intérieur. Après les trois premières semaines — le combat contre le péché, la contemplation de la vie publique de Jésus et la méditation de sa Passion —, le ton change radicalement : il ne s’agit plus de s’affliger mais de se réjouir. Cette semaine est placée sous le signe de la Résurrection du Christ et de l’annonce de la Bonne Nouvelle, le kérygme, dans sa forme la plus simple et la plus essentielle : le Christ est ressuscité, il est vivant.
L’exercitant entre ici dans un climat profondément transformé. La souffrance du Christ, méditée tout au long de la semaine précédente, trouve son achèvement et son dépassement. Le Père a ressuscité le Fils d’entre les morts, et cette Résurrection inaugure une ère nouvelle, celle du salut accompli. Loyola nous invite à accueillir cette lumière en soi, dans une disposition de gratitude. Il ne s’agit pas ici d’un simple soulagement moral, d’un répit acquis dans le relâchement, mais d’une joie théologale, fondée sur l’espérance : « Il n’est pas ici ; car il est ressuscité comme il l’avait dit » (Mt 28, 6).
La joie est alors conçue comme participation terrestre et charnelle à la joie du Christ ressuscité lui-même. Loyola le dit explicitement dans la méditation : « je profiterai de l’agrément de la lumière et du ciel, tel qu’il se présente, par exemple en été la vue des plantes vertes et des fleurs ou l’agrément d’un lieu ombragé, en hiver la chaleur bienvenue du soleil ou du feu – et ainsi pour tout ce qui est agréable au corps et à l’esprit et par quoi je puisse participer à la joie de mon Créateur et Rédempteur » (Exercices, 229). Il faut bien remarquer l’insistance ignatienne sur la médiation du corps et des sens au cours de cette contemplation. La joie spirituelle passe par une joie incarnée. Toute la création devient langage, parole de Dieu.
La structure de cette semaine prévoit quatre exercices par jour : au lever, avant le déjeuner ou pendant la messe, à l’heure des vêpres, et au moment du souper. Cette régularité, étape par étape, invite à s’imprégner lentement, durablement, de la présence du Christ vivant.
La quatrième semaine représente une forme de retournement intérieur, une transformation spirituelle. Après l’auto-affliction, par la reconnaissance de sa propre misère et de la souffrance du Christ, s’ouvre une nouvelle disposition : celle d’un hymne à la vie.
Notons que ce passage des ténèbres à la lumière est profondément biblique. Le psaume 30 nous dit en effet : « Le soir s’attardent les pleurs, mais au matin crie la joie » (Ps 30, 6). Ou encore, saint Paul affirme : « Mais nous sommes morts avec Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui » (Rm 6, 8). C’est ce mystère pascal que la quatrième semaine fait vivre à l’exercitant : une mort à soi-même suivie d’une résurrection en Dieu, par le Christ.
La dernière étape, appelée Contemplation pour éveiller en nous l’amour spirituel, est le point culminant de l’ensemble des Exercices. Il ne s’agit plus de méditer un événement, mais de tourner son regard vers Dieu lui-même, dans un mouvement d’action de grâce et d’amour.
Deux principes fondamentaux sont posés :
« L’amour dépend des actes plus que des paroles »
« l’amour consiste en un échange mutuel des biens, des possessions et des œuvres, comme de la science, des richesse, de l’honneur et de tout bien »
Le premier de ces principes nous rappelle que l’amour de Dieu ne peut être abstrait. Il se manifeste dans les décisions, les engagements, les gestes. Il rejoint ici la parole du Christ : « Il ne suffit pas de me dire “Seigneur, Seigneur !” pour entrer dans le Royaume des cieux ; il faut faire la volonté de mon Père » (Mt 7, 21). Le second principe souligne qu’en se consacrant à l’amour de Dieu, les hommes reçoivent en retour son amour, et peuvent enfin réaliser la présence de Dieu en tout être et en toute chose.
Dans cette dernière semaine, l’exercitant est conduit à voir Dieu en toute chose : dans les créatures, dans les événements, dans les relations. Ce n’est pas une simple dévotion, mais une vision transfigurée du monde. Le Dieu de la Résurrection n’est pas un Dieu éloigné, mais un Dieu intérieur, intime, caché dans le réel. Saint Paul l’exprimait ainsi à Athènes : « Car c’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Ac 17, 28).
La quatrième semaine des Exercices atteint un sommet d’éveil spirituel et religieux. Elle permet à l’exercitant d’entrer enfin dans la joie de la Résurrection, non de manière naïve, mais après un long travail de purification et de conversion. Le Christ ressuscité devient alors le compagnon de route, la source d’amour et de mission. L’amour reçu de Dieu appelle un amour en retour, que l’on manifestera dans nos actes. La contemplation s’élargit à toute la création, transformée en sacrement de la présence divine. Ainsi, celui qui a traversé les quatre semaines peut désormais sortir vers le monde, le cœur en paix, le regard tourné vers Dieu en toutes choses.
Nous ferons, pour clore cette présentation, référence à d’autres parcours chrétiens qui semblent suivre le même schéma que les exercices ignatiens :
Le triduum pascal, qui met en scène le cheminement allant des ténèbres à la lumière : jeudi saint (la Cène, le Jardin des oliviers), vendredi saint (la Passion), le samedi du silence, en l’absence apparente du Christ, suivi de la nuit pascale et de l’annonce de la Bonne Nouvelle (la Résurrection), le kérygme.
Le château intérieur de sainte Thérèse d’Avila.
La nuit obscure de saint Jean de la Croix.
Comment interpréter, recevoir ou rejeter, le déroulement d’exercices qui cheminent lentement mais sûrement vers la douleur, pour ensuite atteindre le calme intérieur et enfin s’élever à la joie ?