Nous entrons enfin dans la lecture des exercices eux-mêmes ou, plus exactement, dans la direction proposée à ces exercices, en contenant les fins et la tenue.
Une prescription, peut-être la plus importante, une prescription, donc, ouvre les exercices :
« Quelques exercices spirituels par lesquels l’homme est conduit à pouvoir se vaincre lui-même et à fixer son mode de vie par une détermination libre d’attachements nuisibles »
« se vaincre lui-même »
« fixer son mode de vie » « détermination libre d’attachements nuisibles »
Tout de suite l’accent est mis sur l’interprétation plutôt que sur la condamnation des propos et affirmations d’autrui, et sur l’accompagnement qui doit alors lui être procuré. Il me semble que ce contenu et ce ton sont assez différents de la suite pour que nous nous y arrêtions.
Il faudrait donc, ou les exercices auraient pour but proposé à l’exercitant, je le rappelle, l’exercitant c’est celui qui pratique les exercices :
– Se vaincre soi-même
– Atteindre une sorte de stabilité dans le quotidien
– Se détacher de ce qui peut nous nuire
Il n’est pas encore, à ce stade, à la grande ouverture des exercices, de Dieu. Dieu vient tout de suite après cette ouverture, une fois que les principes premiers ont été prononcés, qui ont essentiellement trait à la lutte et à la transformation de soi.
Une fois Dieu réintroduit dans la perspective, une seule et unique fin nous est donnée : louer le Seigneur et le respecter, et être sauvé par le service de Dieu. Pour servir cette fin, seules les choses qui y conduisent doivent être retenues, sans distinction parmi celles qui nous sont permises. Ce va-et-vient entre soi et Dieu est permanent dans les exercices spirituels.
La « méthode simple », déroulée en seulement vingt-cinq paragraphes, propose un cadre général, un modèle de pratique qui pourra s’appliquer dans toutes les situations. Il comprend deux parties : l’examen particulier et quotidien et l’examen de conscience, lui-même réparti entre la pensée, la parole et l’action. Les deux, examen particulier et examen de conscience, s’articulent l’un à l’autre pour former un tout, ce tout posant les fondements de tout exercice subséquent.
Examen particulier et quotidien
Trois temps et deux examens
Premier temps, au réveil : la vigilance se fixe, en début de journée, sur un péché ou un vice que l’on entend corriger.
Deuxième temps, après midi : se demander combien de fois le péché ou le vice choisis ont été perpétrés depuis le début de la journée, en se proposant « de mieux se maîtriser pour le restant du jour ».
Troisième temps, le soir, après le repas : on se demande à nouveau combien de fois l’on a péché ou cédé au vice désigné le matin.
Le deuxième et le troisième temps sont des temps d’examen, et leurs résultats sont consignés sous la forme de simples barres permettant de compter le nombre de fois où l’on ne s’est pas maîtrisé.
L’inscription de ces barres n’est pas rien. C’est un compte et une inscription. C’est une trace, quel qu’en soit le support. Une trace, ça peut s’effacer, mais c’est fait pour ne pas l’être. On pense bien sûr aux inscriptions qui permettent de compter le temps, une, deux, trois, quatre barres verticales, une barre en biais pour en ressaisir le compte, et on passe à la suite.
Plus loin dans le texte, le compte du temps prend d’ailleurs toute son importance. Nous verrons ça.
C’est alors que viennent, dans le texte, les premières recommandations visant à ce que l’exercitant apprenne à se corriger.
La première recommandation est une punition corporelle que l’on doit s’infliger à soi-même : se frapper la poitrine autant de fois que l’on a failli. C’est assez discret, puisque le texte nous dit que ce peut être fait en la présence d’autres personnes, sans que celles-ci s’en rendent compte. Mais le geste est là, quand même, qui doit donc, qui peut, être effectué en public, mais sans que cela puisse se voir. Je vous laisse méditer sur l’intention et la portée de cette flagellation dissimulée.
Les trois autres recommandations sont des comparaisons (1) entre les deux parties de la journée, soit avant et après midi, (2) entre cette journée et la précédente, et enfin (3) entre les examens quotidiens effectués pendant deux semaines.
C’est, je le rappelle, un examen quotidien.
L’importance du compte, et donc des inscriptions, se déploie ici. Les inscriptions valent pour compte quotidien des infractions commises et pour compte du temps qui passe.
Enfin, il est proposé comme normal que les fautes diminuent avec le temps, sans plus de précisions.
Nous noterons, tout de même, qu’il n’est fait appel à rien d’autre qu’à la foi et à la discipline, minimalisant la possibilité de l’introspection. Il n’y a ici, pour le moment en tout cas, nul édifice psychologique, nulle ontologie du mal qui en rechercherait ou en présenterait la source dans une suite de mécanismes psychiques, comme c’est le cas par exemple dans le bouddhisme, enfin, dans certains courants du bouddhisme. L’examen général de conscience, dont le cadre est ensuite développé, ajoute tout de même quelques éléments, qui semblent cependant surtout doctrinaux, c’est-à-dire posés comme tels, indiscutables, affirmations évacuant la possibilité de la question et du doute.
Examen général de conscience
Purification de l’âme et confession des péchés
De la pensée
Trois formes de pensée nous sont proposées : une pensée propre à l’individu lui-même, donc comme monade isolée, deux autres pensées venant de l’extérieur, de l’esprit bon et de l’esprit mauvais. Serait-ce forcer le trait que de voir le Moi dans l’individu, la pulsion dans l’esprit mauvais, esprit de la tentation, et le surmoi dans l’esprit bon, esprit de la loi ?
L’individu lui-même est d’ailleurs conçu ici comme se faisant l’arbitre des pensées lui venant de l’extérieur. Une distinction est aussi établie entre la mauvaise pensée repoussée dès la première fois et la mauvaise pensée que l’on devra repousser plusieurs fois pour la vaincre. La pulsion est fixe et se dissipe, le désir se déplace et insiste. Il y a plus de vertu à vaincre le second que la première.
Enfin, le péché est moindre quand il est commis en pensée qu’en acte, tout en n’en restant pas moins mortel si tel est le cas.
De la parole
Certaines paroles sont condamnables, dans l’ordre suivant :
- le blasphème ou le serment, se référant directement au Dieu Créateur, ou à l’une de ses créatures
- les paroles inutiles
- le mensonge, les faux-témoignages et le dénigrement, « car il ne faut pas critiquer autrui ni le calomnier »
Je voudrais vous faire remarquer la grande rectitude qui est requise des exercitants et, à travers eux, de tout chrétien : ne pas condamner les propos d’autrui, mais toujours faire en sorte de les comprendre pour pouvoir accompagner celui qui parle, ni critiquer, ni calomnier autrui.
Une précision tout de même : ne sont pas considérées comme calomnies les dénonciations des péchés d’autrui quand ceux-ci sont publics et peuvent corrompre autrui. Il me semble que si la dénonciation de faits ou de discours publics est considérée comme juste, c’est qu’elle permet d’interdire ou d’arrêter une possible contamination.
De l’action
Est considéré comme péché tout ce qui contrevient, dans cet ordre : (1) aux dix commandements de Dieu, (2) aux préceptes de l’Église, (3) aux ordres des supérieurs (comme la parole du Pape).
Modèle de l’examen général en cinq points
- Rendre grâce à Dieu
- Connaître et chasser les péchés, avec la grâce de Dieu
- Examen quotidien des fautes en pensée, en parole et en action
- Demander pardon
- Se corriger, puis réciter un Notre Père
La question qui m’est venue à l’esprit à la lecture de ces premiers principes est la suivante : quel salut pour les créatures de Dieu en-dehors de sa grâce et de l’Amour que nous lui devons, un homme libre est-il nécessairement un homme soumis à Dieu ?