Venez visiter notre boutique en ligne

Frais de port réduits à 0,01€ pour toute commande supérieure à 30€, en application de la Loi Darcos


Nous nous attacherons aujourd’hui à parcourir les matériaux proposés aux instructeurs à la toute fin du volume des Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola.

Les textes 313 à 370 exposent les règles de discernement de l’esprit (surtout pour la première et la deuxième semaine des exercices), les scrupules, et l’attitude au sein de l’Église. Ce corpus forme le cœur pratique de la pédagogie ignatienne, centrée sur la liberté intérieure, l’écoute des mouvements spirituels et la fidélité au sensus Ecclesiae, ou sensus fidei fidelium, c’est-à-dire à un don du Saint Esprit conféré par le baptême, rendant les fidèles aptes à juger intuitivement de ce qui est conforme ou non à la foi reçue des apôtres. C’est un sens de la foi qui ne s’exerce pas indépendamment du magistère, mais en communion avec lui et qui constitue un critère de discernement des vérités de la foi. Une sorte de bon sens mystique chrétien, si vous voulez.

Les règles de la première semaine, textes 313 à 327, visent ceux qui vivent dans un état de péché mortel habituel, et qui ne se sont pas encore engagés dans une vie spirituelle ordonnée. Ils sont pris entre les mouvements contraires de deux esprits : le bon et le mauvais.

Le mauvais esprit agit par plaisir apparent et par suggestions séduisantes : il pousse l’âme vers les péchés, les distractions, ainsi qu’un confort spirituel illusoire.

Le bon esprit, tout au contraire, agite la conscience : il suscite du remords, de la tristesse, des secousses, toutes épreuves pouvant aider à éloigner l’âme du péché.
Sur le chemin conduisant à Dieu, cette logique va progressivement s’inverser. Le bon esprit apportera alors la consolation, la paix et la clarté de vision, tandis que le mauvais esprit troublera, rendra inquiet ou triste, sans raison apparente.

Les tactiques démoniaques sont énumérées :

1/ En 325, « Notre ennemi revêt la nature et le tempérament féminin quant à la fragilité des forces et à l’entêtement de l’esprit. »
2/ En 326, « Notre ennemi imite (…) le comportement d’un amoureux très méchant qui veut séduire la jeune fille de parents honnêtes ou l’épouse d’un mari sérieux (…) »
3/ En 327, « Souvent l’adversaire imite aussi un chef de guerre désirant prendre d’assaut et piller une citadelle assiégée. »

Oscillation constante entre désolation et consolation, les règles de la première semaine accompagnent la naissance du discernement.

Les règles de la deuxième semaine, à travers les textes 328 à 336, s’adressent plutôt à ceux qui sont déjà dans le mouvement d’une vie spirituelle plus stable et qui cherchent à s’ajuster plus finement à la volonté divine. Elles développent une approche plus subtile du discernement, car le mauvais esprit peut ici se déguiser en ange de lumière afin de mieux nous tromper.

À cet effet, il conviendra d’observer les conséquences des inspirations reçues : si ces inspirations conduisent à plus d’humilité, de paix, d’amour, elles viennent probablement du bon esprit. Car le bon esprit marque ses interventions par la paix durable, la lumière intérieure et l’unité, tandis que le mauvais esprit provoque une exaltation initiale, rapidement suivie de trouble, d’orgueil et d’agitation.

Le texte 333 en particulier, invite à un discernement rétrospectif, c’est-à-dire à l’évaluation d’une pensée non plus à partir de son effet immédiat, ou même de son origine, mais à partir de ce qu’elle donnera plus tard, dans sa finalité : « Il faut examiner nos pensées ponctuellement et avec soin, leur début, leur milieu et leur fin, car si ces trois parties sont droites, c’est la marque du bon ange qui suggère ces pensées. »

Ignace enseigne ici la maturité du discernement : plus l’âme est proche de Dieu, plus le discernement est subtil, car le mauvais esprit devient rusé.

Dans les textes 345 à 351, Loyola propose de distinguer le vrai scrupule du faux scrupule.

Le faux scrupule consiste à être troublé par un péché là où il n’y en a pas, ou par un péché véniel que l’on traite comme un péché mortel.

Le vrai scrupule est utile : il vient du bon esprit et pousse à clarifier sa conscience, à demander conseil, à avancer dans la vérité.

Loyola met en garde contre une mauvaise rigueur morale, qui pousse à la tristesse stérile et détourne de la confiance en Dieu. Il conseille de parler à un directeur spirituel compétent, et d’éviter le piège du perfectionnisme qui désoriente l’âme. Vous noterez que ce point adoucit considérablement et encadre les dérives possibles à partir de la rudesse que nous avons soulignée dans les trois premières semaines des exercices.

Les 18 règles proposées pour obéir à « l’Église orthodoxe, catholique et hiérarchique » à travers les textes 352 à 370, souvent nommées Sentir cum Ecclesia, désignent une disposition intérieure de l’exercitant, par laquelle il adhère non seulement à l’enseignement doctrinal de l’Église, mais partage aussi son esprit, sa mission, et sa manière d’agir, en une sorte de manifeste d’obéissance ecclésiale. Ignace y affirme que la vie spirituelle, même illuminée, doit s’enraciner dans la fidélité à l’Église hiérarchique.

C’est ainsi que la treizième règle, essentielle, affirme qu’il faut toujours préférer l’avis de l’Église à ses propres pensées, même si l’on croit avoir reçu une lumière intérieure. Elle énonce un principe célèbre :

« Enfin, pour être tout à fait d’accord et conforme à l’Église catholique, si elle définit qu’est noir ce qui à nos yeux paraît blanc, nous devons de même déclarer que c’est noir. » (365)

L’erreur, ici, consisterait bien sûr à voir une soumission aveugle du croyant à l’Église, alors qu’il s’agit d’une attitude de confiance : c’est toujours le Saint-Esprit qui guide l’Église, quand bien même ses membres aussi seraient imparfaits.

C’est ce qui conduit Loyola à fortement recommander de soutenir la dévotion populaire, les sacrements, les messes et les prières traditionnelles. Loyola valorise les œuvres de pénitence, les reliques, les pèlerinages, les dévotions aux saints, l’indulgence, car tous ces éléments sont des médiations offertes par Dieu à travers l’Église. Et Loyola met en garde contre ceux qui, sous prétexte de pureté spirituelle, méprisent les formes visibles du culte.

Nous retrouvons ici une ligne de tension que nous avons évoqué à plusieurs reprises quant à la possibilité d’une révélation ou d’une conversion « spontanées », en-dehors de tout cadre ecclésiastique ou doctrinal. Quand je vous interrogeais, sur un ton quelque peu provocateur, en vous demandant : « À quoi bon des prêtres ? » si l’on peut atteindre la révélation tout en étant isolé de toute communauté chrétienne, mon propos anticipait une autre question, tout aussi provocatrice, mais qui se pose malgré tout à nous : « À quoi bon l’Église ? »

Il y a derrière ces questions, les questions de l’évangélisation et de la prédication, soit l’annonce de la Bonne Parole ou de la Parole Révélée. Nous devrions d’ailleurs recevoir dans quelques jours un nouveau livre, que nous publions sous le label « Fondation de la Rose Blanche », écrit par le P. Soubeyrand, qui soulève sans fard ces questions, entre doctrine, référence aux écritures et témoignages vécus.

Ce livre s’inscrit dans la continuité de l’enseignement ignatien, qui invite aussi à une modération dans l’usage de la parole, en particulier pour les prédicateurs ou les enseignants, à savoir : ne pas souligner publiquement les critiques de l’Église, mais favoriser la charité, l’unité et l’édification. Pour résumer le propos : la foi catholique doit être reçue avec amour et humilité, sans déclarer tout comprendre ou tout vouloir corriger.

Les textes 313 à 370 des Exercices spirituels nous rappellent trois grands principes : sensus fidei, sensus Ecclesiae et sentir cum Ecclesia.

Le sensus fidei exprime la capacité intérieure que chaque baptisé possède, par la foi et le Saint-Esprit, de reconnaître ce qui est authentiquement chrétien. Ce n’est pas une disposition subjective, mais un instinct surnaturel, en accord avec la tradition apostolique. Le sensus fidei a trait au dogme.

Le sensus Ecclesiae exprime une sensibilité ecclésiale partagée, marquée par l’amour de l’Église, la fidélité à son enseignement, et l’engagement pour son unité. Le sensus Ecclesiae a trait à l’institution.

Le sentir cum Ecclesia exprime l’union intérieure à l’Église, dans ses joies et ses épreuves, dans ses décisions doctrinales et dans son agir pastoral. C’est l’attitude du croyant qui choisit la fidélité, même lorsque cela passe par l’obéissance dans l’incertitude ou la contradiction. Le sentir cum Ecclesia revêt une dimension spirituelle plus marquée.

Ainsi, tout en appelant à une liberté intérieure radicale, Loyola n’a de cesse de fonder cette liberté, et la spiritualité qui va avec, sur l’obéissance éclairée à la vérité révélée, transmise par la médiation de l’Église comme institution.

Liberté et doctrine sont indissociables l’une de l’autre.