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Après avoir distingué le social, qui aurait en quelque sorte trait à la dimension collective de la vie sociale, du sociétal, qui aurait trait à sa dimension individuelle, ou à tout le moins intersubjective, nous avions fini la dernière fois en évoquant rapidement la contractualisation, ou plus exactement la juridicisation de l’Etat et des rapports sociaux, des rapports sociétaux, juridicisation liée, nous l’avions rapidement énoncé, à la sociétalisation comme principe de séparation des individus composant le tissu social. Séparation qui repose sur la réduction des rapports sociaux à des rapports intersubjectifs entre individus isolés du tout, tout dont les deux grandes figures sont la famille et l’Etat.

Plusieurs d’entre vous sont ensuite revenus vers moi tout au long de la semaine pour évoquer la difficulté qu’ils éprouvaient dans la lecture du texte de Bernard Bourgeois, allant parfois jusqu’à s’imaginer qu’il y aurait derrière l’écriture de Bourgeois, son style supposé, une sorte d’intention à… à quoi exactement ? je ne sais pas trop, mais peut-être bien que Bourgeois se ferait un peu plaisir à être obscur, ce qui n’est pas très loin d’une sorte d’accusation de verbiage. Alors, je tiens à le redire : nul verbiage chez Bourgeois, pas plus que chez Hegel, pas plus qu’une obscurité dont l’intention, ou plutôt la mal-intention, serait de ne parler qu’avec et qu’à une supposée élite.

Le travail de Bourgeois, à la suite de celui de Hegel est un travail rationnel, technique, essentiellement mû par la volonté, de chacun, d’exercer une écriture synthétique qui comprenne toujours, qui soit toujours au plus près du concept, de sa négation et du dépassement de ce concept et de sa négation. Deux exemples, en des énoncés très resserrés : l’identité de l’identité de la différence, ou l’être de l’être et du néant.

Mais revenons-en au texte que nous avons commencé à lire.

Nous étions donc arrivés la dernière fois à la question de la “contractualisation du politique” comme “achèvement du ‘faire société’”, d’un processus de sociétalisation reposant sur l’illusion de l’immédiateté de la liberté individuelle, posée là comme fait accompli, voire même comme liberté transcendantale, absolue, débarrassée, détachée de toute forme de liens aux expressions du tout, en l’occurence de la famille et de l’Etat. Dans ce “faire société” détotalisant, le sujet qui se pose et se construit dans et par l’intersubjectivité, s’y pose et s’y construit à travers le dialogue. C’est, pour faire simple, la fameuse ritournelle du consensus, qu’on nous a serinée, pour ceux qui s’en souviennent, en particulier dans les années 80 et 90 du siècle dernier. Il était alors pensé que ce serait dans la discussion que se construiraient les normes du juste et du vrai, et cette pensée s’est pérennisée jusqu’à aujourd’hui, avec de multiples conséquences que nous allons essayer d’inspecter.

Ici, dans cette perspective, la “rhétorique procédurale”, celle qui s’illustre en particulier dans les procédures judiciaires, devant les tribunaux, “peut seule (…) fonder (…) l’unité normative (…) de la république”, de la société civile, qui se fonde désormais sur la juridicisation que nous avons commencé d’évoquer la dernière fois, et qui prétend se passer de la loi et de l’Etat, pour se fonder elle-même. Alors. Qu’est-ce que ça veut dire ? Et bien, ça veut dire, et c’est très important de bien le saisir, ça veut dire qu’il y a là une rupture avec la figure traditionnelle de l’Etat, que ce soit celui de la démocratie libérale ou que ce soit l’Etat-providence de la social-démocratie.

Bourgeois souligne combien tout ça ne fonctionne pas, à quel point n’est pas possible l’auto-régulation de l’inter-subjectivité sociétale, par les règles d’un dialogue inter-individuel, inter-subjectif, recherchant constamment le consensus et ne se référant jamais qu’à lui-même, une auto-régulation d’un discours essentiellement autotélique, qui vise lui-même sa propre fin, de la contractualisation et de la juridicisation du social, règles et discours portés par le sociétal, mais aussi dans le champ de l’économie l’auto-régulation des marchés, qui découle en fin de compte de la même logique, d’une logique qui “ne pouvant pas se porter elle-même” peut encore moins porter l’Etat. En réalité : “L’interaction sociale-sociétale ne peut s’harmoniser elle-même, et par là être viable, que par la présence agissante, même tacite et implicite, du politique réalisé par l’Etat-nation.”

Deux arguments, par le haut et par le bas, sont avancés pour ressaisir l’agir nécessaire de l’Etat, son action par-delà et en-deçà du consensus jamais atteint de la société civile : le supra-national et l’infra-national.

Au niveau supra-national, toute société des nations ne tient que de ce que les Etats “restent souverains même dans la délégation, toujours conditionnée, de leur souveraineté aux instances supra-nationales.”

Au niveau infra-national, l’autorité du droit doit être intériorisée par les membres constituant la société civile, afin que “le national-étatique” puisse porter “le social, qui, lui-même, porte le sociétal.” Bourgeois le dit encore autrement : “Le destin de la juridicisation, même immédiatement sociale-sociétale, confirme que c’est toujours le sujet commun, (…) qui fait être (…) l’intersubjectivité.”

Aussi, se référant à Rousseau, nous pouvons affirmer ou ré-affirmer que le contrat social n’est pas un contrat affirmant la volonté des individus qui seraient liés par lui mais tout au contraire “une auto-négation des contractants dans le pacte libérant la volonté générale.” Pour le dire autrement et pour conclure, en reprenant les termes de Bourgeois : ce n’est pas le contrat qui investit le droit pour y supplanter la loi, juridicisation, c’est le pacte contractuel lui-même qui assure la suppression, ou la négation si vous voulez, des contractants dans une unité qui est et ne peut être dite que par la loi.