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Notre réflexion collective s’est articulée autour de la distinction, centrale chez Vaneigem, entre deux formes d’individualisme : celui, aliéné, produit par la société marchande, et celui, pleinement affirmé, des individus autonomes capables de former une collectivité libre. Une idée est revenue plusieurs fois : dans le monde contemporain, la majorité des choix ne sont que des choix d’apparence, des rôles ou des identités prédéfinies par le spectacle de la marchandise, plutôt que de véritables expressions de soi. Le désir lui-même semble appauvri, réduit à des aspirations marchandes ou à la recherche d’un confort rejoignant la promesse édénique de la circulation des marchandises, de leur spectacle. Ce constat renvoie au mécanisme fondamental de l’aliénation : la séparation du producteur et du produit, la vente de la force de travail, la domination de la marchandise et de son imaginaire, de son spectacle.

Dans ce cadre, le « travail sur soi » ne peut pas être compris comme une démarche individuelle : il n’a de sens qu’inscrit dans un contexte collectif, car les conditions qui aliènent les individus sont d’abord matérielles et structurelles. Tout effort contraire risquerait de n’être qu’un succédané de « développement personnel ». 

La discussion a également souligné qu’on ne peut penser la transformation sociale à l’échelle d’un seul pays, car le capitalisme est désormais intégralement mondialisé, et ce depuis au moins un siècle. C’est pourquoi les expériences les plus prometteuses émergent souvent dans des régions périphériques, dans des zones rurales ou dans des sociétés non occidentales où les mécanismes de la marchandise et de son spectacle sont moins omniprésents.

Un autre thème essentiel a été celui du rapport au temps. Le désir d’un changement immédiat est compréhensible, mais l’impatience historique peut conduire à l’illusion ou à la désorganisation, comme l’ont montré certains mouvements révolutionnaires du passé. À l’inverse, la résignation consistant à penser que tout prendra plusieurs générations peut paralyser toute action. Vaneigem, quant à lui, assume une forme de millénarisme actif : la transformation commence ici, maintenant, dans la vie quotidienne et la reconquête du désir.

Enfin, la discussion a clarifié le statut de l’histoire dans la pensée de Vaneigem. S’il reconnaît que certaines attitudes de l’aristocratie féodale étaient plus cohérentes ou plus « vraies » que la médiocrité bourgeoise, il ne s’agit en aucun cas de nostalgie. L’histoire, pour lui, est un mouvement dialectique : la féodalité contient ses propres limites, la bourgeoisie dépasse ces limites tout en créant une nouvelle forme d’aliénation, et une société libre doit dépasser à son tour ces formes précédentes, en s’appuyant sur la dimension intrinsèquement révolutionnaire de la bourgeoisie dans son émancipation des anciennes formes d’aliénation. Le but n’est pas de revenir à un passé idéalisé, mais d’inventer des formes nouvelles d’existence.

La conversation s’est achevée sur l’idée que toute transformation commence par une reconquête subjective, mais qu’elle ne peut se réaliser que « par le bas », dans la rencontre, la pensée et les expériences communes. Le fait même de réfléchir ensemble est déjà une manière d’entraîner le désir hors de son aliénation et de rouvrir la possibilité d’un autre monde.