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Ce jour, la discussion se poursuit autour d’une lecture critique du Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations de Raoul Vaneigem et s’élargit progressivement à une réflexion sur le pouvoir, la violence, les mouvements sociaux, la réalisation individuelle, l’aliénation et la question de la transcendance.

Un point central est l’idée que le pouvoir ne se réduit ni à une idéologie ni à des individus, mais fonctionne comme une structure autonome, un ensemble de mécanismes sociaux et historiques : hiérarchies, rôles, obéissance, répression, récupération et confusion. Les personnes passent, les places restent. L’histoire n’est pas faite par des “grands hommes”, mais par les places elles-mêmes et leur articulation à la structure sociale d’ensemble.

Les mouvements sociaux récents (Gilets jaunes, agriculteurs, diverses formes de manifestations réprimées depuis les années 2010) sont analysés comme des mouvements dont les déclencheurs (taxe carburant, normes, mesures techniques) ont pour caractéristique majeure l’absence de conscience de classe classique et de stratégie insurrectionnelle affirmée. Le gilet jaune est vu comme une affirmation sociétale basée sur une problématique qui est à l’origine la même pour tous (cf. les commentaires de Gérard Noiriel à ce sujet), ce qui rend le mouvement à la fois inclusif et difficile à nommer politiquement.

Notre discussion constate un changement dans la doctrine répressive de l’Etat : là où la violence était autrefois ciblée (par exemple envers les têtes de cortège qui regroupaient les éléments les plus radicaux), elle est désormais indifférenciée, avec des stratégies d’encerclement, de gaz lacrymogène visant indifféremment tous les manifestants, de dissuasion en amont par le discours médiatique. La répression des gilets jaunes a produit une mémoire sourde : mutilations (éborgnements, mains arrachées) plutôt que morts, générant une peur durable et une démobilisation, sans martyrs capables de fournir l’assise d’un récit collectif.

Il est aussi souligné que la police et les CRS ne sont pas d’abord orientés politiquement, mais qu’ils forment des corps d’Etat fonctionnels, chargés du maintien de l’ordre. Sociologiquement et institutionnellement, cet appareil est structurellement aligné sur la conservation du pouvoir, et jouit d’une forte impunité qui renforce la rupture de confiance entre l’appareil répressif du pouvoir et les citoyens.

Sur le plan philosophique, la discussion explore la réalisation de soi selon Vaneigem : non comme un état atteint, mais comme une voie, un effort permanent pour ne pas céder sur son désir (la proximité, inattendue, avec Lacan est alors soulignée) et ne pas se résigner. L’harmonie sociale n’est pas conçue comme un modèle parfait, mais comme un mouvement fragile, rendu possible par des individus qui cherchent à se réaliser sans illusion de perfection. Nous soulignons alors que les conflits d’ego (d’égaux ? mais justement, des égaux s’affrontent-ils encore ?) montrent surtout des réalisations individuelles inabouties et des frustrations.

Des expériences concrètes de communautés autogérées, d’associations libres d’individus libres (collectifs d’artistes, lieux de vie partagés, certaines associations de malfaiteurs à l’exemple d’Os Cangaceiros…) montrent que des formes de coopération non hiérarchiques peuvent fonctionner. Mais elles sont structurellement menacées : dès qu’elles deviennent viables et durables, le pouvoir intervient par la violence pour les dissoudre ou les déplacer.

Enfin, la discussion converge vers la question de la transcendance. Certains participants évoquent le fait que quand tout est bloqué, une sortie “hors cadre” semble nécessaire. Cependant, Vaneigem refuse les transcendances verticales (Dieu, marchandise, Nation, Révolution sacralisée, promesse de lendemains meilleurs), car elles produisent aliénation, renoncement et sacrifice. La promesse est vue comme un frein à l’action quotidienne. La seule transcendance non aliénante serait immanente : l’acte, la vie vécue ici et maintenant, la création de liens, la communication directe.

L’aliénation est définie comme le fait de faire dépendre sa vie de quelque chose d’extérieur (Dieu, marchandise, idéologie). La non-aliénation n’est pas une pure transparence de soi (illusion), mais une assomption lucide et ludique par l’individu de sa propre condition, sans renoncement ni délégation de sa puissance de vivre.

Bibilographie :

Raoul Vaneigem, Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations

Alessi dell’Umbria, Du fric ou on vous tue !

Gérard Noiriel, Les gilets jaunes à la lumière de l’Histoire